Lettre ouverte après la défaite
Vive l’écologie. Vive la pensée qui inclut la diversité du vivant et la complexité de l’histoire humaine. Mais pourquoi ça ne marche pas ?
Je suis écologiste. Et je reconnais que, partout en Europe et en Occident, le contexte est défavorable pour les combats progressistes visant une transformation durable de la société. Une géopolitique tendue, des inégalités explosives, un défaitisme général face aux désastres climatiques et humanitaires, qui charrient en outre la menace angoissante de la guerre et de l’immigration incontrôlée… : tout cela compose un paysage défavorable pour un parti de transition fondé sur la science et des valeurs progressistes (qui confinent parfois à l’angélisme). Et cette situation est encore aggravée par la dégradation accélérée du niveau d’information de la population et du niveau d’argumentation des débats politiques, sous la pression d’une transition numérique qui est, de fait, une dérégulation et une privatisation de l’information et l’éducation.
Certes. Cependant, tout cela ne doit pas, et ne peut pas, constituer une excuse suffisante. Voyons plutôt ce qui peut (doit) peut-être être corrigé…
Les 3 péchés du parti écologiste
1. Un parti qui incarne le camp de la bourgeoisie
Dans sa version urbaine en particulier, l’écologie politique ne cesse de porter des mesures qui tendent à être vécues comme du mépris de classe, notamment à travers la pénalisation et la stigmatisation de la voiture thermique. Des mesures à explosion, vis-à-vis desquelles les autres partis restent habilement en seconde ligne, prêts à reculer au gré du vent électoral.
Et au-delà de ces mesures mal perçues, il faudrait sans doute faire le détail des signaux d’appartenance sociales, qui se reflètent dans les structures sociologiques du vote vert. Au niveau de son assise électorale, le parti écologiste peut certainement être identifié à un parti de la gentrification à Bruxelles, et un parti des classes supérieures urbaines à l’échelle de la Wallonie. Même des qualités éthiques indéniables, comme la pratique de la décence politique, peuvent être perçues comme une forme d’arrogance ou de distance hautaine, voire de fond religieux un peu suranné.
2. Absence de lisibilité sur les questions environnementales
C’est naturellement le plus grave, pour un parti dont le sens de l’urgence écologique devrait être la colonne vertébrale infrangible, une urgence qui traverse le temps sans perdre de son acuité, au contraire. À cet égard, le parti dispose en outre d’un monopole de fait, que son nom et sa couleur rendent manifeste. Comment se fait-il, dès lors, qu’il ait pu prêter le flanc aux doutes sur sa légitimité dans ce domaine ?
Un marqueur de cet échec est le vide sidéral du contenu de communication autour du ministère fédéral de l’Environnement et du Climat, occupé par une grande figure du parti qui, à l’évidence, a peu d’affinité avec les questions environnementales, leur préférant des positions clivantes dans des domaines sociétaux polémiques.
Certes, il était difficile de ne pas tomber dans le piège du nucléaire (faut-il décarboner, oui ou non ?), un marqueur de longue date du combat écologiste. Néanmoins, cet écueil était prévisible et il aurait fallu le voir venir depuis bien longtemps. Seul un mélange d’impréparation et de candeur justifie que le parti n’ai pas pris les devants en coupant l’herbe sous le pied du faux-allié libéral.
Autre piège fatal et assumé : celui de la participation. Comment porter l’urgence absolue des questions écologiques tout en étant loyaux dans des gouvernements hétéroclites ? Tout cela alors que les grands enjeux se jouent au-delà de nos frontières, dans des instances dont la majorité ignorent tout du fonctionnement. Cette question ne peut se trancher qu’avec une stratégie étagée qui tient compte des différentes échelles territoriales et électorales. Sur ce point, on pourra toutefois accorder le bénéfice du doute : participer, c’est aussi obtenir des résultats, qui pourront encore être valorisés plus tard.
3. Fragmentation des revendications minoritaires
L’accession triomphale au pouvoir des écologistes a fait du parti le cheval de Troie pour des militant-es de causes minoritaires portées par le vent de la mode, qui sont plus intéressé-es par un gain rapide de visibilité à court terme que par les fondamentaux historiques du combat écologique. Ces causes sont parfaitement légitimes, naturellement, mais elles participent au brouillage de l’image du parti, et à sa perception de parti d’urbains déconnectés, voire autoritaires. Dans ce domaine, il faut reconnaître que les cadres ont été des « victimes » consentantes.
Pourtant, l’histoire fait loi. Cette stratégie de la défense des minorités a en effet été massivement adoptée par les Démocrates américains dans les années 90 et 2000,. Elle a conduit à l’échec retentissant d’Hilary Clinton et à l’élection de Trump. Chez nous, cette stratégie a fait les choux gras d’un des imitateurs du magnat américain. Cela aussi était prévisible, l’Europe suivant toujours la société étatsunienne, avec de moins en moins de retard.
Une nouvelle colonne vertébrale, entre le commun et le territoire
L’opposition est toujours un bon traitement pour des partis en déshérence qui doivent se reconnecter à leur solide raison d’être. Sur le plan tactique du marketing politique, le parti écologiste devrait commencer par se débarrasser des signes indiciels qui en font un parti d’élite, voire de classe, aux yeux d’une majorité toujours plus grande de l’électorat. Et ce, naturellement, sans perdre de vue la ligne environnementale qui fait son ADN depuis 40 ans.
Le parti a besoin d’une colonne vertébrale, qui permet de déplier deux bras stratégiques essentiels : un bras social et un bras écologique. Il s’agirait de proposer une écologie politique intraitable sur les enjeux planétaires et la nécessaire transformation du capitalisme mondial, mais qui serait beaucoup plus pugnace et rouée dans les combats locaux et nationaux. Une écologie qui n’aurait pas peur de la boue et des pugilats. Qui prendrait en compte les inégalités de classe, sans réserve ni posture morale. Mais qui ne perdrait jamais de vue les lignes tectoniques de l’équation écologique globale : le capitalisme est un colonialisme qui finira par nous détruire tous et toutes.
Au-delà du style et du discours, il faudra alors oser un positionnement qui défrise la très maigre base actuelle du parti. En effet, tout ceci suppose des « rapprochements » peu fréquentables – bien éloignés de la culture actuelle du parti. D’une part, avec la gauche radicale, car la (re)conquête de l’égalité sociale est un thème désormais incontournable, et parce qu’il n’y a pas de « communs » sans expropriation du Capital. Mais aussi, d’autre part, avec un discours populiste qui reconnaît la légitimité du ressenti des classes populaires occidentales, notamment la peur de l’immigration perçue comme facteur d’un déclassement en cours. Il faudra bien qu’on reparle de « territoire » .
Tout cela suppose de sortir d’un paradigme selon lequel le problème est « le manque d’éducation » de la population. Quant bien même le fait serait incontestable, cela n’en demeure pas moins une incantation inopérante. Pour en sortir, il faudra une écologie qui avance aussi dans des sociologies inéduquées ou déséduquées. Telle est la dure vérité de l’état d’un monde, livré aux ennemis des peuples et des vivants.
Comme disait l’autre : « ça va être sale ». Mais a-t-on le choix ?