Une réflexion sur les ressources écosophiques de la communication environnementale et l’évocation d’une « pensée-nature » inspirée par Héraclite. L’enjeu : reconquérir la sensibilité comme commun, condition préalable et priorité véritable pour une communication de combat.

« Quand j’entends les écologistes décrire le monde, je comprends que personne n’ait envie de le sauver ». Cette phrase, citée de mémoire, a été prononcée par Bruno Latour[1]. Derrière la boutade : une interpellation qui fait vaciller nos certitudes. Ce vacillement est le début de cette réflexion.
Le constat est connu : nous autres, environnementalistes, communiquons bien trop avec notre tête, et pas assez avec nos émotions. Nous parlons aux instruits et aux convaincus, mais nous passons à côté des autres, ceux qui « ne savent pas » ou « ne comprennent pas ». Ce constat, qu’il ne s’agit pas ici de contester, peut d’ailleurs s’appuyer sur les découvertes du cognitivisme linguistique. Résultat : nous nous parlons surtout à nous-mêmes. Nous communiquons entre nous.
C’est pourquoi il est urgent d’interroger les ressources, explicites ou implicites, que nous mobilisons pour penser notre communication. S’appuyer sur une psychologie scientifique ou une théorie neurologique des « biais cognitif » ne peut plus suffire. La raison en est simple : ce type d’approche ne fait que redoubler et renforcer le gouffre que nous devons combler. Entre « nous » et « les autres ». Entre « ceux qui savent » et « ceux qui ignorent ».
Il s’agit de trouver une autre théorie pratique, qui ouvre une brèche dans nos routines communicationnelles et les asymétries qu’elles impliquent entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, nous et les autres. Cette autre théorie aura aussi pour objectif de nous emmener en excursion hors de notre cerveau et des paradigmes techniques de la communication. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une nouvelle « image de la pensée »[2]. Cap sur la Terre.
Une autre image de la pensée
On pourrait invoquer Spinoza pour s’armer contre le dualisme cartésien, qui décrète le primat de la raison sur la sensibilité. Mais pourquoi se contenter de faire un si petit bout du chemin ? Voyageons dans un passé bien plus lointain, aux sources pré-platoniciennes de la philosophie. Car c’est Platon qui invente la vérité comme pouvoir issu d’un savoir intellectuel. Selon lui, il y a, au-delà de notre monde imparfait et changeant, un ciel de raison constellé par des idées immuables, vérité éternelle accessible seulement au philosophe. Pour Platon, cela confère à ce dernier une vocation innée de dirigeant et de guide. L’enjeu est pour lui de descendre dans la caverne des illusions communes, pour convaincre les autres hommes de vivre et d’agir selon la vérité philosophique. Une tâche ingrate puisque, comme on le sait, les gens du commun ne se plient pas de bonne grâce à ce pouvoir auto-institué[3].
Reconnaissons-le, cette idée très politique selon laquelle l’accès à la vérité confère à une minorité éclairée le droit et le devoir de conduire les foules ignorantes sur le droit chemin, elle continue d’imprégner nos concepts de communication. Voilà pourquoi nous devons nous aventurer dans la préhistoire de cette pensée.
« il y a près de 2600 ans, un penseur cryptopunk combattait déjà une culture dominante, en instance de divorce avec la Terre.
De cette pénombre pré-platonicienne, nous ne connaissons guère que quelques bribes mystérieuses, souvent douteuses. Il y a cependant les aphorismes poétiques des premiers penseurs de la Grèce archaïque, et parmi eux, de celui qui fut le premier à s’appeler philosophe, et dont nous possédons un corpus de fragments suffisamment étoffé pour tenter d’articuler une pensée systématique. Héraclite, puisque c’est de lui qu’il s’agit, critique lui aussi la cité, ses maîtres et leurs suiveurs. Mais malgré son arrogance, il ne s’érige jamais en guide sachant. En penseur marginal, il façonne une cosmo-philosophie de la nature qui se situe à mille lieues des prétentions de la vérité-pouvoir.
Penser avec ses tripes
La pensée, c’est justement le cœur du sujet. Héraclite la nomme phronésis. Ce terme désigne un activité physiologique, enracinée dans la chair. À ce titre, la phronésis est partagée par tous les humains et sans doute la plupart des animaux, peut-être même l’ensemble des vivants : « La pensée est commune à tous », écrit-il (fragment 113). Cette activité physiologique procède d’un organe : le phrèn. On peut traduire ce mot par « cœur » ou par « diaphragme ». Au puissant symbolisme du cœur, je préférerai l’image énigmatique du second. Mais retenons déjà ceci : nous pensons tous, et nous pensons avec nos tripes.
La pensée d’Héraclite n’est pas de celles qui se pratiquent de loin, avec les yeux perçants de l’esprit, tourné vers la lumière d’un ciel idéal. C’est une pensée qui avance à tâtons et préfère l’intimité inquiétante de la nuit, comme en témoignent plusieurs passages mystérieux, où l’on perçoit le respect du penseur pour cette nuit sacrée. Est-ce par hasard qu’il la nomme euphronè, c’est-à-dire « belle pensée » ? Une dimension mystique se signale ici : à la métaphore platonicienne du soleil absolu, Héraclite préfère l’image de la torche vacillante des adeptes de Dionysos, ce dieu qui rôde aux confins du sauvage (fr. 15, 26).
Raison symphonique
La pensée est commune à tous. Et pourtant chacun pense autrement. Est-ce à dire que tout le monde a raison ? Héraclite nous abandonne-t-il au relativisme ? Pas si simple. « Avoir raison » n’est pas une parole qui trouve un sens bien défini dans la langue héraclitéenne. Héraclite parle du logos en un temps où celui-ci n’a pas encore reçu la définition qui orientera de manière décisive le cours de la civilisation. Chez lui, on ne sait jamais si le logos désigne « la parole », « le discours » ou « la raison ». Peut-être faut-il surtout rappeler que logos est issu de legein, qui signifiait d’abord « rassembler » ou « (re)cueillir ». La pensée aussi a commencé par être chasseuse-cueilleuse !
« Accorder les palpitations de notre corps pensant avec les grands mouvements de la symphonie cosmique… Sentir aussi les connexions entre toutes les choses (ta panta). »
L’étude des fragments suggère néanmoins un lien fort entre le logos et la metra (la « mesure »). Le monde (kosmos), nous dit Héraclite, est un feu toujours vivant, qui s’allume et s’éteint avec mesure (fr. 30). En cela réside le logos du kosmos, sa « raison » au sens d’un rapport, d’une harmonie de proportions (Héraclite utilise aussi le mot armonia, pour désigner un lien invisible, un agencement quasi artisanal au fondement des choses, fr. 54). Je voudrais donc entendre le mot « mesure » dans un sens avant tout musical, cet art mathématique aux yeux des Grecs.
Respiration cosmique
Ainsi donc, il y a un logos du cosmos, et il indique à la pensée le chemin d’une mesure et d’une harmonie. C’est ici que la référence au diaphragme prend un sens. Car le diaphragme est un muscle qui bat la mesure de notre respiration. Or, le cosmos est lui-même, selon Héraclite, une grande respiration éternelle, littéralement. Au rythme balancé des jours et des nuits, des saisons, de la vie et de la mort, la nature brasse les éléments constitutifs des êtres (eau, terre, air, feu), qui se changent les uns dans les autres en figurant autant de « tournures » (tropai) du feu, substance vitale du monde[4] (fr. 31). La terre et l’eau se changent en vapeurs, qui s’élèvent dans l’atmosphère et s’enflamment brièvement au firmament, avant de retomber en une pluie de lourdes gouttelettes, pour nourrir l’humus de la Terre vivante, dans un cycle éternel. Les âmes sont elles-mêmes des « souffles » (psychés) qui « s’exhalent de l’humide » (fr. 12) et tendent vers le sec. Elles reflètent l’animation vitale et plurielle d’une nature, dont chaque particule est excitée par la puissance du feu, qui indique une tendance à l’expression optimale (et revoilà Spinoza !).
Si la pensée doit s’inscrire dans cette pulsation du cosmos, et si tous les vivants sans hiérarchie de valeur à cette ample respiration cosmique, on devine que la pensée ne peut être un cadre statique qui confère une légitimité et un pouvoir de gouverner à quelques-uns. Compte tenu de tout ce qui précède, bien penser signifie penser en rythme. Accorder les palpitations de notre corps pensant avec les grands mouvements de la symphonie cosmique. Sentir aussi les connexions entre toutes les choses (ta panta). Car le fragment 13, cité plus haut, peut aussi se traduire : « la pensée est commune au tout ». On pense juste, comme on joue juste dans un orchestre vivant (symbiosphère). Il faut d’abord oublier de se demander qui dirige, qui donne le rythme, qui suit qui. Le rythme, c’est nous tous. Le vivant.
Bien penser et bien agir, ce n’est donc pas contempler une vérité idéale, même pour la traduire habilement dans une pratique vertueuse, mais bien « écouter la nature » (fr. 112). Et la « nature », c’est la physis, cette pulsation vitale qui bat au cœur de la matière.
L’homme de la cité, cet autiste.
Ne nous y trompons pas. Si Héraclite semble railler la foule des « nombreux » (o polloi), qui pensent en dormant, il est encore moins tendre avec les rois et les prêtres qui guident la cité en invoquant des savoirs sclérosés et étriqués (fr. 2). Tous pensent et parlent à l’aune de leur cité, sa loi et ses remparts (fr. 44). Mais la cité ne respire pas avec le tout, et les remparts n’ont pas le rythme souple du diaphragme. Ils figent les identités et les lois. À coup de formules sibyllines, parfois cinglantes, Héraclite éreinte les prétentions des hommes et des tyrans. Il n’épargne pas même les dieux ! Ainsi de l’astre du jour, Dieu de pouvoir par excellence, et image du Vrai et du Bien platoniciens, qu’Héraclite rapporte à « un pied d’homme »[5].
« On pense juste, comme on joue juste dans un orchestre vivant. Il faut d’abord oublier de se demander qui dirige, qui donne le rythme, qui suit et qui précède. Le rythme, c’est nous tous. Le vivant. »
En un sens, Héraclite avait déjà diagnostiqué nos automatismes et « biais » culturels. Mais c’est justement là que réside la difficulté. Car s’il ne s’agit pas de se glisser dans ces cadres pour les mettre au service d’intérêts particuliers, comme le font les sophistes, il ne s’agit pas non plus d’imposer le nouveau cadre vertueux d’une vérité ou d’une moralité supérieure, comme le veulent les âmes éclairées. Ce qui est en jeu, c’est le souffle incandescent d’une pensée terrienne, qui se joue des lois des cités et des ambitions des individus.
Héraclite n’a pas réussi (et sans doute pas cherché) à faire triompher sa doctrine dans les esprits de sa cité d’Éphèse. Le ton caustique de certains passages en atteste. Peut-être même a-t-il préféré s’éclipser dans le monde de la nuit et la pratique des cultes mystériques de ses ancêtres (Héraclite est issu d’une lignée de prêtres éleusiniens, un culte qui préfigure la sorcellerie médiévale). Mais cela ne peut être notre dernier mot. La défaite, bien qu’elle semble assurée, n’est plus permise aujourd’hui.
La sensibilité comme commun
Voilà l’étrange point de départ : il y a près de 2600 ans, un penseur cryptopunk combattait déjà une culture dominante, en instance de divorce avec la Terre. La philosophie qu’il cherche à inaugurer n’est pas de celles qui isolent la raison et proclament un ordre idéal. Son logos n’a de sens que dans un flux (« on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve », fr. 91). Selon lui, il s’agit d’écouter la nature pour penser juste, avec nos « tripes », un organe capable de vibrer et résonner au sein du grand orchestre cosmique, où accords et désaccords s’engendrent successivement (fr. 8). Cette hypothèse est peut-être discutable philologiquement, elle n’en est pas moins une ligne de fuite spéculative pour affronter le présent.
L’enjeu devient alors celui de la sensibilité. Et donc, de la sensibilisation ! Mais gardons-nous de nous sentir en terrain familier. La sensibilisation ne peut être une tactique sournoise pour éduquer. Elle doit être le cri de ralliement d’un engagement collectif à augmenter notre sensibilité commune. Une entreprise qui consiste, littéralement, à « rendre sensible », aux sens objectif et subjectif : rendre le monde sensible pour nous et nous rendre capables de sentir.
« L’effondrement contemporain est d’abord un effondrement de la sensibilité, harassée par la métaphysique du pour-soi
Il n’y a pas d’autre voie pour sauver un monde que d’apprendre à sentir battre son pouls. Car en réalité, comment pouvons-nous accorder nos pensées et nos corps aux lois symphoniques de la nature, si nous n’en percevons plus ses nuances et ses variations ? Si nous ne voyons plus les signes et n’entendons plus les chants du vivant ? Si nous sommes insensibles à la manière dont la nature transforme (tropein), rassemble (legein) et synchronise (dans une metra) les êtres, pour ne plus sentir que nous-mêmes ?
Celui ou celle qui n’a jamais vu une sitelle descendre en sautillant le long d’un tronc, ni entendu le loriot écouler son chant liquide depuis le houppier d’un peuplier, pourquoi sacrifierait-il une once de son confort pour sauver les oiseaux des forêts, quand quelques pigeons suffisent à peupler son bestiaire décharné ? Or, l’enjeu de rendre sensible ne permet pas de décider la part du rationnel et de l’émotionnel. Car la sensibilité est immédiatement et inséparablement émotionnelle et rationnelle, corporelle et mentale. Ce dont nous avons besoin, ce n’est donc pas d’une stratégie de communication qui adopte les préalables de la manipulation des « humains biaisés »[6], mais d’un objectif qui ouvre à des alliances sensibles dans la lutte contre la destruction du vivant.
« Ce qui nous rassemble ne peut trouver sa source que dans un sentir commun.
Le commun sensible que suppose toute communication doit donc être cultivé et restauré au cœur de notre expérience collective. Il doit se conquérir dans un combat inégal pour faire gagner la sensibilité contre ceux qui parient sur les égoïsmes et les identités individuelles et culturelles. Car voici l’ennemi : tout ce qui nous rend insensibles au monde auquel nous tenons et qui nous tient. L’effondrement contemporain est d’abord un effondrement de la sensibilité, harassée par la métaphysique du pour-soi[7], le marché des addictions, le culte de la technique et la religion du bonheur. Nous rendre insensible au monde est un autre nom du projet qui domine notre époque, et s’exprime dans la métaphore involontaire du fantasme de l’exoplanète.
C’est ici que la dimension pratique de la « théorie » prend un sens aigu : il ne s’agit pas seulement de convaincre l’autre, encore moins de le faire plier à nos « raisons », mais d’abord de faire grandir une sensibilité partagée, terreau d’une vision commune – une tâche autrement plus exigeante. Et plus encore que décréter la « convergence des luttes », admettre que ce qui nous rassemble ne peut trouver sa source que dans un sentir commun.
Ressources exogènes (pour conclure)
C‘est la conviction qui anime le blog symbiosphère depuis le début : pour nous extraire des impasses mortifères où nous nous trouvons, il faut aller puiser nos ressources au-delà du cercle de notre seule modernité « civilisée ». Ces ressources sont tapies dans les recoins cachés d’un passé lointain, chez des penseurs devenus pour nous obscurs, mais aussi dans les poches résiduelles des cultures autochtones.
D’un côté, l’histoire profonde de l’Occident regorge de méandres secrets, d’artères marginales, comme certains cultes anciens perpétués principalement par les femmes (lire Venir de Terre : l’autre généalogie des Grec-ques) qui, de l’antiquité au moyen-âge, ont maintenu vivant un lien avec le non-humain, au prix de la persécution et au risque du bûcher.
D‘un autre côté, il y a tous les peuples qui n’ont jamais renoncé à ce lien au vivant, et que la « civilisation » s’est employée à balayer, coloniser ou déculturer. On pense singulièrement aux peuples amazoniens, habitants indissociables et ultimes défenseurs d’une forêt au bord de l’asphyxie. Pour eux, sentir la chair de la forêt et capter les signes qui émanent des vivants (comme des morts)[8] est un enjeu vital et un langage cosmique, sans lequel vivre en humain ne signifie plus rien. Pour tous ceux-là et toutes celles-là, faire société signifie être et faire avec le vivant, au-delà de la sphère anthropologique.
Portés par cette inspiration venue d’un autre temps et d’autres lieux, d’une temporalité d’une autre spatialité, nous avons à retisser les fils et les liens d’une « pensée-nature », qui nous libère de la pensée-domination. Dès maintenant, nous pouvons par exemple choisir nos représentation : nature sacrée immuable, dotée d’une « valeur intrinsèque » qu’il s’agirait de conserver ; ou « nature-ressource » mobilisable, un capital dont il faudrait entretenir et exploiter les « services écosystémiques » ? Tout vaut mieux que ce choix toxique. La pensée-nature est la pensée d’une nature-parmi-nous, qui circule en nous et autour de nous, en créant ce qui nous fabrique en suscitant une sensibilité commune qui nous constituent en tant que « nous ».
[1] « ÉCRIRE LE SENSIBLE, UNE ÉCOLOGIE » #3, Emanuele Coccia invite Bruno Latour, disponible en écoute sur https://open.spotify.com/episode/28biPjdThaAE7vztyBlZ7H?si=wh11HYrVRDi2njW2FzH88A.
[2] Qu’est-ce que la philosophie, Minuit, 1991.
[3] Cette remarque devrait nous inviter à plus de modestie face au « complotisme », forme viscérale et tentaculaire, mais littéralement démo-cratique, des résistances à une vérité qui se veut « auto-cratique ».
[4] Dans la présente lecture, le feu est à interpréter non pas comme élément primordial, origine et destination de tous les autres, mais comme virtualité matérielle, pulsion de toute matière à s’élever vers l’intensité de la pensée, vers le statut de souffle brûlant, c’est-à-dire d’âme ou de pensée allumée dans la nuit. C’est en ce sens qu’il y a un feu humide, propre aux liquides dionysiens, à travers la notion de ganos, cet éclat vital qui luit dans les marais, le sang et le vin (cf. Dionysos, H. JENMAIRE, Payot, 1951). Les milieux humides semblent jouer un rôle d’interface privilégié dans la cosmologie d’Héraclite, qui est aussi une physiologie du monde (les « fleuves », métaphores réelles pour désigner les veines du monde.
[5] Héraclite ne témoigne que du mépris aux adorateurs du soleil, inspirateur du pouvoir et de ses impostures. Car « sans le soleil, nous aurions la nuit » (fr. 99). Et « le soleil ne dépassera pas les mesures », sinon, avertit Héraclite, les Erinyes « sauront le retrouver » (fr. 94). Or, les Erinyes sont ces antiques vengeresses issues de terre. Et Héraclite semble vouloir renvoyer le soleil à la Terre, non sans ironie. C’est ainsi sans doute qu’il faut comprendre l’énigmatique fragment 3, où l’on apprend que le soleil a « la largeur d’un pied d’homme ». Pour Héraclite, l’astre du jour n’est que le réceptacle des exhalaisons terrestres qui, chaque jour, brûlent au firmament, offrant une trompeuse interruption dans la nuit éternelle. Le soleil n’est rien que cela, aussi est-il « nouveau chaque jour » (fr.6).
[6] L’anthropologie des biais cognitif a remplacé celle de l’homo œconomicus, comme l’explique Barbara Stiegler (notamment dans cette vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=k2PGYu0rvjw). Cette mutation silencieuse préfigure le passage d’un capitalisme de marché à un capitalisme de contrôle, qu’il soit ou non « éco-logique ».
[7] Cf. le texte de Heidegger « Dépassement de la métaphysique », in Essais et conférences, Gallimard 1958 (1952).
[8] Comment pensent les forêts, E. Kohn, Zones sensibles, 2017 (2013).