MANIFESTO POUR LA SYMBIOSPHERE. READ IN ENGLISH

Il n’y a pas lieu de séparer l’humain de la nature. L’être humain est un être de nature. Et la nature est autant humaine qu’elle est butineuse et fouisseuse, féline et végétale, individuelle et sociale.
Ce n’est pas l’humain qui détruit la nature. C’est la séparation de l’humain et de la nature qui détruit l’une et l’autre. Cette séparation est à l’origine d’un mouvement ancien d’anthropisation, qui est un autre nom de la colonisation destructrice des mondes vivants, qu’ils soient humains ou naturels. Une destruction de la nature, et donc aussi de la nature humaine.
Ce que nous devons apprendre à séparer, c’est l’humanisation et l’anthropisation.
La face de l’homme et la chair du monde
Car il y a – très exactement – un monde de différence entre Anthropos et Homo, les deux noms qui désignent l’espèce humaine dans la tradition occidentale.
Anthropos viendrait de « andros » et « ops » : le visage – ou le regard – de l’homme mâle, qui fait face au monde dans un défi de connaissance et de maîtrise. Héros civilisateur ou pionnier colonisateur. Arme au poing. Fouet au ceinturon. Pour dompter, dominer, convertir, raisonner. Un monde à diriger.
Homo vient possiblement de « humus » – la terre où se mêlent les morts et les vivants, les plantes et les bêtes, l’un et le multiple, le minuscule et le grandiose. Une création et une régénération continue de formes et de dépendances entre générations, genres, espèces. Source d’humilité et d’humour, l’humus est la chair du monde, que chacun-e traverse deux fois, pour être et ne pas être.
Humanus contre Anthropos
L’anthropisation est partout, dans nos forêts et dans nos têtes, dans nos rivières et nos foyers. Elle creuse nos cœurs et ronge nos liens. Elle aligne le même pour produire le plus. Elle contrôle et elle compte pour tirer profit. Elle fait des plans et place des caméras. Elle connecte pour mieux surveiller et influencer. Elle sert pour asservir. Elle protège pour exploiter.
Le véritable enjeu, ce n’est donc pas de préserver la nature contre l’humain. Mais de repousser les assauts d’Anthropos pour refaire place à humanum – l’humain-e humique. Quitter la plantation toxique et la condition carcérale du bétail pour faire corps avec les forêts – comme l’ont fait bien avant nous les résistants autochtones[1] et les esclaves fugitifs[2].
Résister aux logiques scalables[3] qui étendent l’empire du même et du « plus de ». Pour cultiver les dépendances locales et entretenir l’entrelacs des (id)entités multiples. Penser symbiotique plutôt qu’antibiotique. Cultiver l’humain-e au-delà des hommes. Nourrir l’humus. Habiter à nouveau des mondes communs. Des mondes co-humains.
Désanthropiser. Pour réhumaniser.
[1] James C Scott, Homo domesticus. Seuil.
[2] Dénètem Touam Bona, Sagesse des lianes. Post.
[3] Anna Lowenhaupt Tsing, Le champignon de la fin du monde. La Découverte.