Avec 30 ans de COP climat derrière nous, et un monde déjà transformé, on peut se mouiller. Ceux qui ont le sort de la planète en main feront sans doute le nécessaire pour sauver son habitabilité, mais ils feront passer par pertes et (surtout) profits la stabilité des écosystèmes et les modes de vie que nous connaissons. Une vision du monde s’en dégage, fondée sur les intérêts financiers et la foi en la destruction créatrice. Est-ce vraiment une surprise ?
Basé sur les informations publiées par Xiaoying Yu, dans NATURE.
Avec le recul que nous avons désormais, un regard lucide sur la situation climatique permet de dégager un panorama de plus en plus limpide. Aux mains des grandes puissances, et à travers elles des grands intérêts financiers et industriels, l’avenir climatique de la planète semble suivre un destin écrit à l’encre verte sur du papier-monnaie. L’anthropologie capitaliste est manifestement à l’œuvre dans la prise en charge globale des enjeux climatiques, et cela nous donne une bonne idée de ce qui sera sauvé, et surtout de ce qui sera sacrifié.
Le système économique et financier fera ce qu’il faut pour assurer sa reproductibilité, y compris sans doute maintenir un niveau d’habitabilité minimale sur cette planète. Mais il est peu probable que les efforts urgents et nécessaires pour préserver les seuils de basculement des grands écosystèmes, comme la forêt tropicale et l’océan, seront passés par pertes et (surtout) profits. Car pour tout cela, nous avons une idéologie qui fait l’affaire (et les affaires) : celle de l’adaptation, du changement perpétuel et de la destruction créatrice. Les incantations magiques autour de l’I.A., censée apporter des solutions à tous nos problèmes, en est la chanson techno-optimiste.
Changement de capitaine, pas de cap
Les évolutions des COP sont elles-mêmes parlantes. Aujourd’hui, on remarque que c’est la Chine qui mène la danse dans le grand bal climatique. En annonçant des objectifs chiffrés pour 2035, Xi Jinping a « mis la barre », comme on dit. L’annonce balise le champ des possibles pour les 30 prochaines années. Pourquoi ? D’une part parce que tout effort chinois a un impact considérable, le pays pesant à lui seul près de 30% des émissions de GES mondiale, loin devant l’UE à 27 (moins de 6%) et même les États-Unis (11%). D’autre part, parce qu’on sait que l’annonce d’objectifs clairs (même s’il subsiste des zones d’ombre sur leur calcul) par le pouvoir chinois est généralement suivie d’effets – on ne peut pas en dire autant des grands plans écologiques européens, soumis aux aléas de démocraties déboussolées.
Face à cela, la sortie des États-Unis des accords de Paris a presqu’un statut anecdotique. C’est que depuis trois décennies, les équilibres et les dynamiques économiques et géopolitiques ont radicalement basculé. L’Europe et les États-Unis connaissent une longue et persistante décrue de leurs émissions de GES. En parallèle, des puissances émergentes comme la Chine, l’Inde et les pays qui nagent (ou rament) dans leur sillage ont acquis un poids considérable. Poids qui se reflète aujourd’hui dans leur leadership au sein des « conversations climatiques ».
Le capitalisme sans les scrupules
En clair, nos économies européennes, et nos modes de vie jadis accusés de tous les maux, sont désormais de simples débris flottant sur une mer dont nous ne maîtrisons plus les courants. Cela se reflète dans le déclin spectaculaire des courants écologistes européens, qui avaient focalisé leur attention sur ces modes de vie. C’était déjà difficile de faire des efforts quand on pensait tenir le sort du monde entre nos mains, alors si ça ne change (presque) plus rien, vous pensez bien…
Tout ceci nous en dit beaucoup. L’avenir du monde passe dans les mains d’une puissance autoritaire, capable de piloter le capitalisme à grande échelle, tant sur son immense marché qu’au sein de la toile d’araignée qu’elle déploie dans les pays émergents et le Sud global. Au passage, ce leadership chinois nous confirme, s’il était nécessaire, que l’économie capitaliste n’est en rien indissociable de la démocratie libérale, ni contradictoire avec l’autoritarisme et la corruption d’État.
Bref, l’Occident décline, et avec lui, les scrupules qui accompagnaient ses excès. Mais le système d’exploitation prédateur qu’il a libéré est loin d’avoir assouvi son insatiable quête de profit, d’exploitation et de domination.
Destruction créatrice. Mais surtout destruction.
Regardez comme les crises successives de ces dernières décennies ont sans cesse renforcé les fondamentaux de l’époque où nous sommes : emballement des inégalités, concentration de la richesse, érosion des acquis sociaux et des règles environnementales, transformation digitale au pas de charge, sans aucune évaluation collective de son caractère bénéfique ou néfaste pour la santé, la société et l’environnement.
Alors, certes, on peut sans doute faire confiance à Xi Jinping et Bill Gates (au hasard) pour œuvrer à un niveau de décarbonation suffisant pour préserver un semblant d’habitabilité sur cette Terre (on sera moins catégorique s’agissant d’Elon Musk et de Donald Trump, mais admettons néanmoins que la barre ne soit plus dans leurs mains). Mais dans tous les cas, bien peu sera conservé de tout ce à quoi nous tenons : nos paysages chargés d’histoire, nos coutumes alimentaires, nos champs remplis de couleurs et du chant des oiseaux… Et quand on y pense, ça fait sens : tous ces attachements, à nos terres, nos cultures et nos liens, ne sont que des embarras inutiles pour le grand mouvement de destruction créatrice censé porter l’odyssée triomphale des humains dans un univers servile. La destruction est certes maximale. La création, elle, est de plus en plus incertaine et inquiétante (songez à ce que signifie la promesse de « remplacer le travail humain »).
Finalement, pour toutes ces choses auxquelles nous tenons, il faudra compter sur nous-mêmes. Nos capacités de résistance. Notre détermination. Notre robustesse. Et aussi, espérons-le, sur une nouvelle génération émergente, qui n’a plus rien à perdre. En espérant qu’elle ait encore quelque chose à gagner.