Aimer un monde abîmé

DÉFENDRE LA NATURE EN 2030

Terrain vague ©Martin Collette on Ilford FP4+

Là,

dehors, nous pensons qu’il y a un monde et que son cœur bat encore. Un monde qui ne se réduit pas à nos environnements connectés et artificialisés.

Nous pensons que le mot « nature » a encore un sens. Nous croyons que ce sens surgit partout où le vivant nous résiste, nous surprend et déjoue nos plans.

Nous

ne voulons transformer la nature ni en une usine productive, ni en une agence de services, suivant un business plan soumis à des paramètres mesurables et prévisibles.

Nous ne voulons pas davantage enfermer la nature dans une bulle muséale et une image passéiste et conservatrice du « sauvage ».

Nous pensons que la nature est une force. Un potentiel de création et de réinvention. Une source inépuisable d’étonnement et d’inspiration. Un horizon indéterminé.

Pourtant,

nous savons que le monde est abîmé et que la vie est en danger. Nous voyons ces espèces en détresse, ces habitats qui s’effilochent. Nous sommes conscients que la nature n’est plus cette grande puissance immuable à laquelle nous faisions face.

Le vivant est désormais partiel et pluriel. La résistance s’est faite interstitielle. C’est en lambeaux que la nature se rebiffe. En cavernicole qu’elle façonne ses espaces rebelles. C’est sous forme larvaire et clandestine qu’elle s’épanouit.

C’en

est fini du paradigme simpliste qui oppose la « vraie » nature à des espaces domestiques sous contrôle. Cela ne fonctionne plus.

D’un côté, plus rien n’échappe à notre emprise dévastatrice. De l’autre, plus rien n’obéit à nos plans de domestication.

Nos aliments se changent en poison, nos fumées se transforment en tempêtes, la nature contrôlée devient planète inhabitable. Même les loups se muent en chiens errants.

Alors,

faut-il renoncer à restaurer et protéger ? Il est urgent au contraire d’intensifier ces efforts.

Mais il est tout aussi urgent de les inscrire dans une vision ouverte et plurielle du vivant, pour faire émerger et fructifier d’autres futurs possibles, partout où c’est possible.

Pour cela, nous avons besoin d’une éthique nouvelle, d’une autre vision du sauvage, de la nature et de ce qui nous relie aux autres formes de vie.

En 2030,

penser la nature, ce sera forcément aimer un monde abîmé et y cultiver des bribes d’espoir, plutôt que ressasser les schémas purifiés d’une écologie idéale et la mélancolie d’un monde perdu.

Cette vision est tout sauf désespérée. Car chaque fragment de nature qui survit ou revit est la promesse d’un autre monde possible, avec d’autres modes de cohabitation et d’autres alliances à inventer.

Travailler

à cette imagination créative devrait être une notre priorité… Nous devons passer de la nature comme source d’inspiration, à la nature comme alliée de création. Et mêler art, science et politique dans une symbiose ouverte, qui fait de l’incertitude son milieu et de la résistance son mode d’existence.

Enfin, créer des lieux où on ne se contente pas de préserver la nature, mais où on la rencontre et où on l’interroge, en mêlant nos créativités à ses potentialités.

Voilà

où nous devons apprendre à nous tenir prêt et à penser. Et voilà ce que nous devons apprendre à aimer. Notre rôle sera de veiller sur ces résurgences fragiles, de penser au bord de ces

fissures.