5G, complot et déontologie journalistique, analyse d’un cas sur le site du Soir.

Au nom de la lutte contre l’obscurantisme d’une population supposée ignorante et crédule, des journalistes agitent les mots « fake news », « infox », « théorie du complot »… Ils se réclament de la rigueur et de la prudence scientifiques, oubliant de les appliquer à leurs propres allégations, piétinant au passage la déontologie, et même la logique la plus élémentaire.

À cet égard, un article publié par Le Soir et Geeko le 3 avril dernier est un véritable cas d’école. Cet article multiplie les raisonnements fallacieux, approximations scientifiques et faux pas déontologiques. Symbiosphere vous en propose une lecture commentée point par point dans une page connexe : aller directement au texte de l’article commenté.

L’auteur de cet article semble être un spécialiste de l’économie digitale et est sans doute un ardent défenseur de la 5G. C’est son droit le plus absolu et je ne doute pas qu’il ait des arguments à faire valoir. Mais plutôt que de s’efforcer de nous convaincre des avantages de ce système technique, M. Chaouite a décidé de s’employer, par des moyens discutables, à dénigrer les personnes qui ont un autre avis que le sien, au motif qu’ils seraient complotistes, et pour le dire crûment, stupides.

« De nos jours, la dénonciation des « fake news » et du « complotisme » tient lieu de carte de presse. »

Ce que nous contestons, ce n’est pas qu’un journaliste exprime une opinion en faveur des bienfaits de la 5G, mais bien qu’il invoque la science de manière abusive et tronquée, et qu’il recoure à des amalgames douteux pour jeter l’opprobre sur des citoyens exerçant leur devoir de vigilance et leur droit à l’expression démocratique. Tout cela apparemment sans avoir consulté l’abondante littérature scientifique qui suggère des liens entre champ électromagnétique et de multiples dommages pour la santé et l’environnement, tels que maladies neurodégénératives, perte de fertilité, cancers…

La rhétorique utilisée par le journaliste relève principalement de deux catégories d’abus logique. La première, c’est de considérer que si A n’est pas démontré, alors le contraire (non-A) est automatiquement vrai. Ce qui est faux, naturellement. Le second, c’est de monter en épingle des cas particuliers et d’en tirer des conclusions générales, tout en privilégiant les cas relevant d’erreurs grossières, à l’évidence pour décrédibiliser les adversaires de la 5G.

Certains journalistes considèrent de bonne foi qu’ils ont pour mission de rétablir la vérité dans l’esprit égaré de leurs concitoyens. Il faut dire que de nos jours, la dénonciation des fake news et du complotisme semble tenir lieu de carte de presse. Cette attitude relève peut-être de bonnes intentions, voire d’un certain idéalisme journalistique, mais elle frise parfois une certaine arrogance corporatiste dans le chef d’une « élite informée » qui entretient sa légitimité à peu de frais. Cela relève surtout d’une conception à notre sens erronée de la mission journalistique. Et lorsque cette mission est accomplie en prenant des liberté avec la vérité ou la rigueur scientifique, la croisade contre les fake news se transforme en un empoisonnement et un brouillage malsain du débat public.

Un voyage sans retour

Nous devons poser la question : pourquoi serait-ce à nous, citoyens inquiets et chercheurs universitaires sous-financés dans des États exsangues, de démontrer qu’un système technique que l’on s’apprête à déverser massivement sur la planète, dans notre environnement et dans nos corps, est potentiellement délétère pour l’environnement et la santé physique et mentale de nos enfants ? Pourquoi n’est-ce pas plutôt aux sociétés qui en tirent les bénéfices et aux Etats qui autorisent son déploiement, de démontrer son innocuité à long terme pour la santé, mais aussi pour l’environnement et le climat ?

Bien entendu, je ne dis pas que le déploiement de la 5G causera un déferlement de cancers ou de maladies dégénératives. J’espère le contraire. Mais pour en avoir la certitude, il faudrait mener des expériences de très long terme à des échelles impossibles à maîtriser (une foule d’autres paramètres évoluent en parallèle, comme le mode de vie, l’alimentation, le stress…, ce qui rend très difficile de démêler les différents facteurs). Mais ce qui est certain, c’est que lorsque ce réseau sera déployé, que nous vivrons entourés d’objets et de services connectés, il sera très difficile, pour ne pas dire impossible, de faire machine arrière dans un délai qui permette de réparer les éventuels effets délétères d’un tel réseau technique.

« Lorsque ce réseau sera déployé, que nous vivrons entourés d’objets et de services connectés, il sera impossible de revenir en arrière. »

Car il ne faut pas s’illusionner. C’est pour un voyage sans retour que nous sommes embarqués. L’objectif des grands acteurs économiques et politiques qui ont misé sur la 5G pour assurer leur croissance économique, c’est de transformer radicalement les conditions de l’existence, dans la droite ligne de l’homo oeconomicus, cet être humain individualiste, égoïste et avide de l’anthropologie libérale. Le client parfait pour des plateformes de commerce en ligne qui dépouillent les États de leurs revenus fiscaux et font jouer la concurrence sur le compte de la santé des pauvres, du respect des droits des travailleurs et de la viabilité de la terre. Et un citoyen parfaitement inoffensif politiquement, car isolé et totalement captif de sa dépendance aux services dématérialisés de l’économie numérique. Ce qu’ils veulent, c’est faire le break, nous mettre en état d’impuissance, pulvériser nos défenses communes, comme cela a déjà été fait pour la malbouffe, le Wifi ou l’agrochimie.

Le complotisme, une réaction « immunitaire » ?

La plupart des populations du globe se sentent impuissantes face à leur destin. Et cette impuissance est accrue, voire organisée, par le déploiement du capitalisme néolibéral globalisé, par des technologies opaques et invasives qui nous isolent dans l’instantanéité, et par la faillite des systèmes d’éducation et de protection des États. Le fatalisme a même gagné les populations des pays « riches », qui ont cessé de croire à leur propre pouvoir démocratique. Mais désormais, toutes ces populations sont aussi connectées et cela permet de faire circuler et de faire enfler des thèses parfois fantaisistes, des hypothèses souvent audacieuses, mais qui ont au moins la vertu de rappeler l’existence des peuples au bon souvenir de ceux qui les gouvernent. Comme une façon de dire : nous ne sommes pas dupes du récit que vous voulez nous imposer.

Les fake news sont-elles vraiment cette grande menace qui plane sur nos démocraties, comme le sous-entend la croisade indignée de journalistes eux-mêmes aux abois ? Selon nous, elles sont plus un symptôme qu’un véritable problème. Peut-être même sont-elles le signe d’une saine révolte, d’une réaction de méfiance « immunitaire ». La dernière façon dont les peuples parviennent à faire entendre, avec les moyens dont ils disposent, un grognement de désapprobation et d’incrédulité face à une culture de gouvernance globale qui a décidé de se passer par tous les moyens possibles de leur avis pour faire avancer le train inarrêtable du « progrès », et surtout la machine folle du profit…  (Lire aussi notre article « Défense du complotisme ».)

Je ne comprends toujours pas en quoi relever des coïncidences troublantes (p.ex. la corrélation entre explosion épidémique et couverture 5G à Wuhan, ou encore la proximité troublante du marché de Wuhan et d’un éminent centre de virologie) relève d’un crime abominable, alors même que les dirigeants des deux plus grandes puissances du monde s’accusent mutuellement d’être à l’origine de la pandémie ? Comment peut-on reprocher aux citoyens de s’interroger sur les intérêts qui se cachent derrière la façade des faits, alors même que l’entièreté de notre système économique global est gouvernée par l’intérêt, au bénéficie d’une fraction toujours plus petite de l’humanité ? Comment peut-on s’indigner du fait que des citoyens proposent des récits et points de vue alternatifs dans un monde où la manipulation a été élevée au rang de vertu cardinale par la caste des « communicants » ? Et puis, après tout, de nombreuses vérités avérées n’ont-elles pas commencé par être des « théories du complot » (voir cet article sur le site The Conversation pour une liste d’exemple historiques impliquant notamment la CIA dans des opérations de déstabilisation politique massives en Amérique latine) ?

Et la 5G dans tout cela ? Cela relève du même processus. Voilà une technologie qui est en passe de s’imposer au monde entier, avec des enjeux économiques colossaux et une narration bien rodée. Il me paraît légitime et même vital de mettre en question cette narration, de s’interroger sur les véritables enjeux et les bénéfices réels pour les populations, les effets sur les tissus sociaux et les écosystèmes. Face au flou scientifique, il est également sain et normal que chacun s’interroge sur les potentielles conséquences sanitaires d’une exposition massive, continue et perpétuelle aux ondes électromagnétiques. A aucun moment, l’auteur de l’article ne soulève le problème de savoir pourquoi la Chine, un État totalitaire qui utilise les technologies numériques pour mettre sa population sous contrôle et dont le modèle de développement menace la biosphère, a entrepris de couvrir la planète d’émetteurs 5G. Il semble bien plus urgent de dénoncer un groupe de citoyens désintéressés, qui se sont unis sur Facebook pour demander l’arrêt du déploiement de la 5G, au motif que ce groupe relaie des informations incertaines ou infondées. Et tout cela au nom de la lutte contre les « fake news ».

La 5G sera le test du « monde d’après »

Il est de bon ton de dire que rien ne sera plus jamais comme avant dans « le monde d’après ». Mais qu’entendons-nous exactement par là ? Sera-ce la fin de la folie productiviste et consumériste qui mène la biosphère à la dislocation ? Le retour à l’essentiel ? Avec plus de produits sains locaux, et moins de produits inutiles et polluants. Plus d’éducation et de culture, et moins de publicité. Plus de théâtre et de cinéma, et moins de Netflix. Plus de biodiversité sauvage et agricole et moins de logos envahissant l’espace public. Ou bien assistera-t-on au contraire à la mise en place accélérée d’une société mondialisée entièrement régulée et contrôlée par un système de traçage et de calcul à la sauce « big data », aux mains de quelques multinationales et de puissants États tyrans ?

L’essentiel est là : le choix de la 5G est une question politique, mais certains ne veulent absolument pas qu’elle apparaisse comme tel ! Ils préfèrent organiser le flou et la diversion autour de controverses scientifiques, souvent tronquées et fabriquées, qui resteront probablement sans réponse assurée. Ou pire : ils s’emploient à hurler au loup en insultant tous ceux qui, fût-ce maladroitement, mettent en doute le caractère intrinsèquement désirable et prétendument humaniste de ces évolutions techniques. Ce dont il s’agit, c’est de nous faire entendre raison. Non pas pour faire triompher la rationalité contre les fake news. Mais pour que nous acceptions comme inévitables les mutations techniques qui s’annoncent.

« La 5G est un choix politique, mais certains ne veulent absolument pas qu’elle apparaisse comme tel. »

Tout cela n’est pas sans lien avec la question écologique et climatique, qui est et reste l’enjeu majeur du prochain siècle. Nous verrons, et nous voyons déjà, pulluler des arguments publicitaires qui s’attachent à montrer que le déploiement de solutions connectées permettra de « sauver la planète » (télétravail ou automatisation des tâches, optimisation des « process » y compris la conduite de véhicules « autonomes », surveillance de la consommation et des déplacements des personnes et appareils techniques, etc.). Toutes les ressources du « green washing » seront mobilisées. C’est inévitable, car les éminences surpayées du marketing ont pour vocation de s’emparer de l’ambiance sociétale, avec ses craintes et ses obsessions, pour l’exploiter au profit de stratégies de développement. Des spécialistes du climat et de l’énergie, comme Jean-Marc Jancovici (lire sa tribune ici), estiment au contraire que le déploiement de la 5G est une folie. Actuellement, l’économie et l’infrastructure numériques représentent déjà plus de 12% des émissions de CO2 (hors période de confinement). Or, plus de 3/4 de celles-ci sont attribuables uniquement à l’échange et au stockage de fichiers vidéos relevant du pur divertissement, pour l’essentiel via la plateforme Netflix.

Quelle option allons-« nous » choisir ? Je vous donne rendez-vous dans le monde d’après, dans quelques semaines ou quelques mois, pour un test grandeur nature. Il consiste simplement à répondre à cette question : allons-nous mettre un frein au déploiement aveugle de la 5G ? Ou au contraire accélérer celui-ci pour relancer le capitalisme global au profit des seuls GAFAM, et accroître le contrôle des populations en mode numérique ?

Lire aussi notre réfutation point par point de l’article du Soir et Geeko.

Un article signé Max Lower