Pour une écologie décentralisée. L'art des possibles et la science des symbioses. Twitter : @lower_max – FB: /symbiosphere.blog – LinkedIN : Max Lower ; symbiosphere.blog
Auteur : symbiosphere
Biologiste et historien de la philosophie belge d’ascendance celte. Né en même temps que la crise pétrolière. Se revendique du courant alterdarwiniste et de la théologie des puissances intermédiaires confuses. Herboriste néopaïen, confesse une croyance à faible intensité en un Dieu unique et croit encore moins en l’Homme, mais bien à la multitudes des interactions et des esprits qui criculent entre la croûte terrestre et la voûte céleste, ainsi qu’aux chants et prières qui les flattent ou les agacent. Libéral pour les pauvres et socialiste pour les riches, juste pour rééquilibrer. Lance en 2016 une réflexion symbiopolitique en vue de renouer des alliances entre les populations humaines, végétales, animales et microbiennes contre la menace des biorobots et l’impérialisme technoreligieux de l’Occident capitaliste.
M.L. : « Tout ce qui précède est vrai sauf ma nationalité, car la Belgique n’existe plus assez pour me nationaliser. »
Les récentes élections en Argentine éclairent dix ans de populisme dans le monde « blanc ». Après Trump et Bolsonaro, Milei offre un baroud d’honneur aux orphelins du colonialisme, de l’impérialisme et de la mondialisation asymétrique. La crise environnementale est un facteur décisif de l’humeur explosive des sociétés en déclin.
L’Argentine, qui vient d’élire un trublion ultralibéral et néoconservateur, se considère comme « le pays blanc » d’Amérique du Sud. Et – inutile de le cacher – une partie de sa population en conçoit un sentiment de supériorité, voire une certaine arrogance. C’est ce que nous disent les spécialistes du pays, invités dans les émissions pour commenter le séisme électoral du 19 novembre dernier. C’est aussi le point de départ de la présente réflexion.
Le miroir brisé de la race
Ce miroir de blancheur m’a fait penser à un lien culturel profond et peu commenté entre les révoltes populistes qui, des Etats-Unis au Brésil, donnent la tonalité un peu carnavalesque au spectacle médusant du sabordage des démocraties représentatives occidentales. Il m’a aussi évoqué les travaux troublants de l’anthropologue James C. Scott qui, avec d’autres, a montré le visage ethno-colonial des États et des Empires qui ont façonné la trajectoire de la civilisation, dès son origine.
Une brève histoire des modes de subjectivation individuels et la voie alternative du perspectivisme amérindien. D’après une lecture de Viveiros de Castro.
L’enjeu aujourd’hui, c’est de dépasser l’impasse de l’individualisme libéral pour refaire société, non de manière ethnocentrée et identitaire, ni même de manière strictement politique (la politique comme circonscrite à la polis, une cité humaine purifiée), mais en envisageant une socialité au-delà de l’humain. Une diplomatie « cosmique », pour reprendre un terme qu’affectionne l’auteur dont je vais maintenant parler.
Comment naît un sujet ?
Les travaux d’Eduardo Viveiros de Castro sur le perspectivisme amazonien fournissent un excellent contrepoint à l’histoire de la subjectivité moderne occidentale. L’anthropologue y raconte comment l’intuition d’un perspectivisme amazonien lui a été inspirée, alors qu’il étudiait le cannibalisme tupinamba : « Cette idée m’est venue en écoutant les chants de guerre araweté, dans lesquels le guerrier (…) parle de soi-même du point de vue de l’ennemi mort ». Et encore : « À travers son ennemi, le meurtrier araweté se voit ou se pose comme ennemi (…). Il s’appréhende comme sujet à partir du moment où il se voit soi-même à travers le regard de sa victime ». Et précisément, c’est en mangeant le corps de son ennemi qu’il incorpore ce point de vue et conquiert – ex altero – sa propre subjectivité.
Dominique Bourg nous a fait l’honneur de publier un de nos articles dans la revue en ligne « La pensée écologique ». Son titre : « Venir-de-Terre : l’autre généalogie des Grec-ques ».
Photographie : Spinning on a barbed wire (c)M_Collette – Fomapan 400
Résumé:À côté de la patrilinéarité, qui installe le patriarcat au faîte du monde grec officiel, les textes archaïques révèlent une autre filiation, circulaire plutôt que linéaire, qui renvoie l’humain à l’humus et brouille les frontières de classe, de genre, d’espèce, en libérant des devenirs minoritaires terriens. Une géo-néologie contre une généalogie. La résistance s’organise autour du dionysisme.
Dans leurs défaites comme dans leurs combats, les peuples de la Terre nous aident à comprendre la mécanique qui nous rend impuissants, insensibles et indolents face à la destruction du monde. L’exemple des Amérindiens est d’autant plus paradigmatique qu’il est sans doute inaugural dans l’histoire du capitalisme moderne. Voici pourquoi Indien vaut mieux que deux « tu l’auras ».
Voyage aux racines du mal. Venus d’une Europe accablée par la peste et portée à incandescence par le fanatisme religieux et les velléités guerrières des nouveaux États-Nations, des aventuriers avides et des chrétiens fondamentalistes se lancent à l’assaut du Nouveau Monde. Nous sommes à l’aube d’une ère nouvelle, qu’on appellera « moderne ». L’ère de la colonisation et de l’exploitation capitaliste.
Avec quatre siècles de recul, la destruction lente et systématique des sociétés amérindiennes, mais aussi leur résistance jamais éteinte, offre l’occasion de dégager une série d’opérations génériques par lesquelles des systèmes socio-écologiques sont capturés, exploités et épuisés. Ces opérations, à la fois mentales et physiques, éreintent les communautés entre les humains et leurs mondes, détruisant les liens de solidarité et de spiritualité qui unissent les vivants, les paysages, les esprits. Pour voyager à travers le temps et les plaines d’Amérique du Nord, nous prendrons pour guide James Wilson et son histoire de l’Amérique indienne[1].
Ce travail ne se veut pas seulement rétrospectif. Réduites à leur forme la plus rudimentaire, ces opérations forment en effet une typologie de base du « maraboutage » moderne capitaliste[2]. Elles révèlent le plan de construction d’une machine de broyage qu’il est aisé de voir à l’œuvre en tout lieu et en tout temps, et jusque sous nos yeux.
Les 5 mâchoires de la broyeuse capitaliste que nous voulons décrire ici. Nommons-les :
Pourquoi la destruction du monde se poursuit-elle imperturbablement sous nos yeux, alors que nous en connaissons les causes et les conséquences ? Dans cet article, on propose une piste de réflexion : l’hypothèse d’une radicalité religieuse opérant secrètement sous le manteau de la civilisation et sous le capot de l’économie capitaliste. Et si notre tragique chevauchée vers la destruction écologique n’était pas le fruit d’un enchaînement hasardeux ?
Ce que nous nommons « la Civilisation » est le fruit d’un lignage multimillénaire issu de la rencontre entre deux schèmes culturels : l’expansionnisme dominateur des États indo-européens et l’exclusivisme de la religion monothéiste sémitique. Le résultat est une pulsion absolutiste qui a pour unique objet de dévotion l’Un et le Même, et pour visée leur extension et leur répétition à l’infini. Ce fut d’abord le Dieu unique, défini par son unicité elle-même, puis le monarque et la Cité, enfin l’Humanité en tant qu’idée, et plus récemment le Sujet individuel sacralisé.
Mais à peu de chose près, cette civilisation qui est la nôtre méprise le monde. Au fond, rien n’existe vraiment en-dehors de Dieu et/ou de l’Homme, si ce n’est pour être résolu, soumis, converti, digéré, exploité. Au risque de radicaliser le propos, on dira que la civilisation se résume à un processus unique : saisir et broyer tout ce qui n’est pas Nous pour en faire plus de Nous. Et le capitalisme en est le mécanisme inconscient, la pulsion brute, incarnée dans une machine de profit économique incontrôlable et aveugle.
Telle est au fond notre religion civilisée inavouée, qui se propage – inchangée pour l’essentiel – depuis le plus antique germe du monothéisme jusqu’au capitalisme et sa sous-culture transhumaniste.
Penser avec les forêts, c’était la proposition de l’anthropologue Eduardo Kohn, pour rendre compte de son expérience parmi les Runas d’Amazonie. Le blog Symbiosphere a suivi cette invitation au fil de plusieurs articles évoquant les cultures amazoniennes et leurs modes de pensée symbiologiques.
Le voyage (mental) vous tente? Découvrez nos incursions amazoniennes :
Avec Descartes dans la forêt, nous revisitons quelques grands thèmes de la métaphysique occidentale, en les confrontant à l’hypothèse animiste, abordée comme un pari alter-pascalien : celui de l’existence des Autres.
Dans Le Jésuite, l’Indien et les Communs, nous rejouons une scène du film The Mission, pour poser la question des Communs dans l’horizon d’un monde animiste, en contraste avec Gaël Giraud et le droit occidental.
Avec Espace animiste, espace totémique, c’est la conception même de la spatialité qui est questionnée en prenant d’abord au sérieux les espaces fractals intensifs des Aborigènes australiens. Ensuite, on y fait l’hypothèse d’une origine animiste de l’espace totémique, sur le modèle d’un espace relationnel éclaté inspiré par les expériences amazoniennes.
Enfin, Atlantis viridis : la légende des peuples du fleuve ffranchit la frontière entre histoire et fiction en racontant la vie oubliée d’une civilisation amazonienne disparue. Une hypothèse longtemps déconsidérée, mais aujourd’hui envisagée avec sérieux par l’archéologie. L’avenir se cache-t-il dans les replis du passé ?
(Re)voir « Tenue de soirée » en 2023 est une expérience troublante. Qui interroge sur la manière dont on aborde la place du genre et du désir dans le corps social. Cascade d’humiliations jouissives, quête de liberté sans issue, où jamais ne s’impose la question piégeuse de ce qui est subi ou choisi, le film est à la fois impossible à regarder aujourd’hui, et plus que jamais nécessaire.
En première analyse, « Tenue de soirée » semble une formidable entreprise de déconstruction de la société bourgeoise et de ses « role models ». Mari, épouse, riche, pauvre, honnêtes gens et malfrats y voient leurs contours s’évanouir et leurs places échangées, dans un tourbillon qui ne cesse de s’accélérer et emporte tout sur son passage.
Pourtant, on devine dès les premières minutes que le film a dû traverser un long purgatoire au cours des dernières années. C’est que les femmes en prennent plein la gueule. Littéralement. Et ce, dès la scène initiale, dont le comique réside dans une gigantesque baffe appliquée par Bob (Depardieu) à Monique (Miou-Miou). En rire nous emplit de culpabilité, aujourd’hui plus que jamais. C’est pourtant là que réside l’essentiel : tout le monde en prend plein la gueule. Et plein le cul. Dans une scène inattendue, Monique pique une colère contre Antoine (Michel Blanc), estimant qu’il pourrait bien consentir un petit effort (comprenez : accepter de se faire sodomiser par Bob). Après tout, elle-même ne cesse de subir ce sort humiliant. « Oui, mais pour les femmes, ce n’est pas pareil », tente Antoine. L’argument est balayé. Tous et toutes baisé-es.
S’en prendre plein la gueule, c’est précisément jouer le « rôle féminin ». Dans la fiction comme dans la vie. C’est ce que montre le film sous toutes les coutures et tous les angles. Comme un porno des âmes…
Symbiosphere a un faible pour les activistes et toutes celles et tous ceux qui refusent d’avancer en laissant les mondes vivants derrière eux. Nous leur avons rendu hommage dans plusieurs articles, à lire si vous les avez manqué (et si vous voulez). Pour tous ceux qui veulent empêcher le capitalisme de quitter la Terre en éteignant la lumière.
En souillant des œuvres d’art, les activistes du climat dépassent-ils les limites du tolérable ? Ou bien nous posent-ils la question de ce que nous tolérons en laissant nos économies souiller le monde et dépasser les limites du vivant ? Et si, finalement, leur geste s’inscrivait dans la tradition de l’art contemporain ?
La sémiotique de Charles Sanders Peirce mobilisée pour tenter de débrouiller la situation conflictuelle et confuse qui entoure la contestation par des militants écologistes de la construction de méga-bassines dans les Deux-Sèvres.
Certains textes font entendre une musique intemporelle, qui résonne étrangement avec l’actualité. Dans l’Antigone de Sophocle, la cité traverse une crise existentielle et un sombre présage plane sur son destin. Une jeune fille sort alors de la foule anonyme pour s’opposer à un roi qui mène la cité à sa perte. Toute ressemblance…
Ici, on cite et décortique Dix Commandements de la Révolte de la prose incandescente du Comité invisible. Pour ceux qui veulent en découdre ou qui aiment la littérature.
Présentation de Félix Guattari, fondateur de l’écosophie anticapitaliste. Une ressource philosophique précieuse pour résister là où la menace rôde perpétuellement : à l’intérieur de notre pensée.
Et pour terminer, un article qui rend hommage à celles et ceux qui doivent nous inspirer parce qu’ils s’opposent à la disparition de leur monde vivant, au risque de mourir avec lui. Ou comment des peuples traditionnels nous invitent à transformer l’éthique et la métaphysique…
Dans cet épisode : une rencontre imaginaire entre la série d’Arte « Le monde et sa propriété » et le film « The Mission », de Joffé. Les traits de Gaël Giraud et de Jeremy Irons se mêlent ici pour révéler les failles des idéaux légalistes occidentaux et mettre en perspective le destin tragique des peuples amazoniens. L’occasion d’interroger et mettre en perspective le concept de Commun.
Dans le film The Mission (Roland Joffé, 1986), des missionnaires Jésuites s’enfoncent dans les hautes terres d’Amazonie pour y fonder des villages modèles évangélisés. L’action se déroule au XVIIIème siècle. Des Guaranis pacifiées et sédentarisés, christianisés par la musique, bâtissent des églises et chantent en chœur les louanges de Dieu, tout en continuant à vivre selon leurs coutumes, en symbiose étroite avec la forêt. Mais bientôt, en raison d’un transfert de souveraineté coloniale, les émissaires du roi et des entrepreneurs avides de richesse décident de reprendre le contrôle de la région, avec l’intention d’exploiter et réduire en esclavage la main-d’œuvre indigène. Pour sauver l’ordre des Jésuites et préserver l’alliance protectrice de l’Église avec l’État, les autorités religieuses imposent de démanteler les missions amazoniennes. Nos missionnaires, incarnés notamment par Jeremy Irons et Robert De Niro, font face à un douloureux dilemme : abandonner les Guaranis à leur sort ou mourir aux côtés des guerriers de la forêt.
Le souvenir du film, récemment revu, s’est imposé à mon esprit tandis que je regardais un épisode de la série « Le monde et sa propriété »[1], où des juristes et économistes s’expriment sur le concept de propriété, ses origines et ses implications. Parmi les thèmes abordés, il y a l’épineuse question des « communs ». Et au nombre des experts conviés à s’exprimer, se trouvait l’économiste Gaël Giraud, lui-même prêtre jésuite. Cette coïncidence minime a été comme le point focal d’une projection qui propulsa ce débat juridique et policé dans la jungle sud-américaine du dix-huitième siècle, les traits de Giraud se superposant à ceux de Jeremy Irons, déchiré entre sa quête d’un paradis terrestres et le réalisme sordide d’une Église à la remorque des États colonisateurs. Dans ce décor mouvementé où le droit se fait aussi touffu et obscur que la forêt la plus dense, j’eus la conviction que Giraud exprimait une position aussi ambigüe et illusoire que celle de ses aînés. Ce n’est pas là un motif de reproche, car c’est toute la thématique des communs qui se révèle imprégnée des paradoxes et difficultés d’un droit occidental voguant sur le cours tourmenté d’une histoire de spoliation et de domination, rendant utopique les efforts désespérés des belles âmes soucieuses d’ordonner le monde.
Longtemps, nous les avons regardés comme les survivants d’une humanité primitive, des fossiles d’os et de chair, errant dans leur lugubre forêt. Pourtant, selon légende, il y avait là une civilisation joyeuse, qui cohabitait ingénieusement avec une forêt prodigieuse. Et si cette légende abritait une vérité plus précieuse et plus amère que nos certitudes ?
Parmi les récits que l’on nomme légendes, certaines ne portent ce titre que comme une parure pudique. Ainsi sont dissimulés les traits d’un passé peu flatteur pour notre présent, et estompés les durs contours d’une réalité qui menace nos âmes douillettes. Les comptes-rendus des premières expéditions au contact des peuples du fleuve, rapportés il y a bien longtemps par une poignée d’aventuriers téméraires, appartiennent à cette sorte d’histoires, qui firent un temps sourire les gens sérieux, avant de sombrer dans l’oubli.
Mais parfois, les fantômes des mondes oubliés se réveillent pour ajouter leurs lancinants sarcasmes aux affres d’un présent sombre.Et à ceux qui ne croient pas qu’un autre monde est possible, ils rappellent que ces autres mondes ont déjà été, bien que nous fussions incapables de les considérer.
Cette évocation d’une histoire possible est librement inspirée du documentaire « Amazonie, les civilisations oubliées de la forêt », par Marc Jampolsky et Marie Thiry, 2022, disponible sur arte.tv.