Tous prolétaires ! Vers la prolétarisation du vivant.

La notion de prolétariat est née à Rome et signifie « pour la croissance » (pro oles). Dans les empires, il s’agissait de faire croître la masse des sujets corvéables et imposables. Aujourd’hui, ce sont les profits privés qu’il faut faire grandir. Ce mouvement semble entrer dans une nouvelle phase : la prolétarisation de la nature.

Dernier parking. Photo : ©M_Collette

Récemment, le président français a lancé un nouveau slogan polémique : « réarmer la natalité ». Avec la brutalité calculée dont il est coutumier, il remet ainsi en lumière la fonction du peuple : il s’agit avant tout de « faire nombre », dans l’intérêt de l’État et des classes dominantes, de leur sécurité ou leur prospérité. C’est ce que nous raconte l’origine du mot prolétariat, pour désigner ceux qui n’ont d’autres ressources à offrir que leur reproductibilité.

Au-delà de l’étymologie, c’est le destin contemporain du mouvement de prolétarisation qui nous occupe ici. Dans la langue de Marx, prolétariser ne signifie pas seulement exploiter une classe laborieuse. C’est aussi priver les êtres de leur puissance, en les coupant de leur monde et en les spoliant de leur potentiel, pour les soumettre à un système de production dans lequel ils deviennent de purs opérateurs de l’accroissement du capital.

Un destin qui ne concerne désormais plus seulement les humains des classes laborieuses, mais l’ensemble du vivant…

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Arnaquer un Indien en 5 étapes

Dans leurs défaites comme dans leurs combats, les peuples de la Terre nous aident à comprendre la mécanique qui nous rend impuissants, insensibles et indolents face à la destruction du monde. L’exemple des Amérindiens est d’autant plus paradigmatique qu’il est sans doute inaugural dans l’histoire du capitalisme moderne. Voici pourquoi Indien vaut mieux que deux « tu l’auras ».

Photographie: Les dents du canyon. Photo : ©M_Collette

Voyage aux racines du mal. Venus d’une Europe accablée par la peste et portée à incandescence par le fanatisme religieux et les velléités guerrières des nouveaux États-Nations, des aventuriers avides et des chrétiens fondamentalistes se lancent à l’assaut du Nouveau Monde. Nous sommes à l’aube d’une ère nouvelle, qu’on appellera « moderne ». L’ère de la colonisation et de l’exploitation capitaliste.

Avec quatre siècles de recul, la destruction lente et systématique des sociétés amérindiennes, mais aussi leur résistance jamais éteinte, offre l’occasion de dégager une série d’opérations génériques par lesquelles des systèmes socio-écologiques sont capturés, exploités et épuisés. Ces opérations, à la fois mentales et physiques, éreintent les communautés entre les humains et leurs mondes, détruisant les liens de solidarité et de spiritualité qui unissent les vivants, les paysages, les esprits. Pour voyager à travers le temps et les plaines d’Amérique du Nord, nous prendrons pour guide James Wilson et son histoire de l’Amérique indienne[1].

Ce travail ne se veut pas seulement rétrospectif. Réduites à leur forme la plus rudimentaire, ces opérations forment en effet une typologie de base du « maraboutage » moderne capitaliste[2]. Elles révèlent le plan de construction d’une machine de broyage qu’il est aisé de voir à l’œuvre en tout lieu et en tout temps, et jusque sous nos yeux.

Les 5 mâchoires de la broyeuse capitaliste que nous voulons décrire ici. Nommons-les :

  1. La fausse réciprocité
  2. Le profit délocalisé
  3. La dépendance aliénante
  4. L’effondrement socio-éco-systémique
  5. Le récit progressiste

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Entrer dans la pensée-forêt

Penser avec les forêts, c’était la proposition de l’anthropologue Eduardo Kohn, pour rendre compte de son expérience parmi les Runas d’Amazonie. Le blog Symbiosphere a suivi cette invitation au fil de plusieurs articles évoquant les cultures amazoniennes et leurs modes de pensée symbiologiques.

Le passage de l’ esprit jaguar. Photo: M_Collette©

Le voyage (mental) vous tente? Découvrez nos incursions amazoniennes :

Avec Descartes dans la forêt, nous revisitons quelques grands thèmes de la métaphysique occidentale, en les confrontant à l’hypothèse animiste, abordée comme un pari alter-pascalien : celui de l’existence des Autres.

Dans Le Jésuite, l’Indien et les Communs, nous rejouons une scène du film The Mission, pour poser la question des Communs dans l’horizon d’un monde animiste, en contraste avec Gaël Giraud et le droit occidental.

Avec Espace animiste, espace totémique, c’est la conception même de la spatialité qui est questionnée en prenant d’abord au sérieux les espaces fractals intensifs des Aborigènes australiens. Ensuite, on y fait l’hypothèse d’une origine animiste de l’espace totémique, sur le modèle d’un espace relationnel éclaté inspiré par les expériences amazoniennes.

Enfin, Atlantis viridis : la légende des peuples du fleuve ffranchit la frontière entre histoire et fiction en racontant la vie oubliée d’une civilisation amazonienne disparue. Une hypothèse longtemps déconsidérée, mais aujourd’hui envisagée avec sérieux par l’archéologie. L’avenir se cache-t-il dans les replis du passé ?

Le Jésuite, l’Indien et les Communs

Dans cet épisode : une rencontre imaginaire entre la série d’Arte « Le monde et sa propriété » et le film « The Mission », de Joffé. Les traits de Gaël Giraud et de Jeremy Irons se mêlent ici pour révéler les failles des idéaux légalistes occidentaux et mettre en perspective le destin tragique des peuples amazoniens. L’occasion d’interroger et mettre en perspective le concept de Commun.

Hommes et chien au parc. Photo : ©Martin_Collette

Dans le film The Mission (Roland Joffé, 1986), des missionnaires Jésuites s’enfoncent dans les hautes terres d’Amazonie pour y fonder des villages modèles évangélisés. L’action se déroule au XVIIIème siècle. Des Guaranis pacifiées et sédentarisés, christianisés par la musique, bâtissent des églises et chantent en chœur les louanges de Dieu, tout en continuant à vivre selon leurs coutumes, en symbiose étroite avec la forêt. Mais bientôt, en raison d’un transfert de souveraineté coloniale, les émissaires du roi et des entrepreneurs avides de richesse décident de reprendre le contrôle de la région, avec l’intention d’exploiter et réduire en esclavage la main-d’œuvre indigène. Pour sauver l’ordre des Jésuites et préserver l’alliance protectrice de l’Église avec l’État, les autorités religieuses imposent de démanteler les missions amazoniennes. Nos missionnaires, incarnés notamment par Jeremy Irons et Robert De Niro, font face à un douloureux dilemme : abandonner les Guaranis à leur sort ou mourir aux côtés des guerriers de la forêt.

Le souvenir du film, récemment revu, s’est imposé à mon esprit tandis que je regardais un épisode de la série « Le monde et sa propriété »[1], où des juristes et économistes s’expriment sur le concept de propriété, ses origines et ses implications. Parmi les thèmes abordés, il y a l’épineuse question des « communs ». Et au nombre des experts conviés à s’exprimer, se trouvait l’économiste Gaël Giraud, lui-même prêtre jésuite. Cette coïncidence minime a été comme le point focal d’une projection qui propulsa ce débat juridique et policé dans la jungle sud-américaine du dix-huitième siècle, les traits de Giraud se superposant à ceux de Jeremy Irons, déchiré entre sa quête d’un paradis terrestres et le réalisme sordide d’une Église à la remorque des États colonisateurs. Dans ce décor mouvementé où le droit se fait aussi touffu et obscur que la forêt la plus dense, j’eus la conviction que Giraud exprimait une position aussi ambigüe et illusoire que celle de ses aînés. Ce n’est pas là un motif de reproche, car c’est toute la thématique des communs qui se révèle imprégnée des paradoxes et difficultés d’un droit occidental voguant sur le cours tourmenté d’une histoire de spoliation et de domination, rendant utopique les efforts désespérés des belles âmes soucieuses d’ordonner le monde.

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Lire les signes dans les méga-bassines

La sémiotique de Peirce est ici mobilisée pour tenter de débrouiller de la confusion qui entoure la contestation par des militants écologistes de la construction de méga-bassines dans les Deux-Sèvres.

Les guerriers de l’estuaire. Photo: M_Collette©

Si les méga-bassines ne sont pas le problème, elles sont bien l’indice d’un système agro-industriel qui n’a d’autre recours que la fuite en avant. Elles sont aussi le symbole d’une inertie politique face au désastre écologique. Et les affrontements sur le site de Sainte-Soline sont l’icône des violences écologiques et sociales qui s’annoncent partout autour de ressources raréfiées, devenues un Commun vital.

Ces retenues d’eau sont aussi l’occasion de sortir de la boîte à outils philosophique quelques concepts de la sémiotique de Charles Sanders Peirce…

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Bolsonaro et l’insensibilité au monde

De notre indolence hébétée face au désastre climatique à l’extinction de peuples qui ont lié leur destin à celui de leur forêt, courent les ruisseaux mortifères d’un « microfascisme » ordinaire, dont Bolsonaro est une cristallisation politique. Ce dimanche, il pourrait être le fossoyeur de l’Amazonie. Et ce n’est pas un hasard.

DéconnexionPhoto: M_Collette©

« We will spend the rest of our lives watching everything we know and love fall apart. And we are the lucky ones. » Voilà ce que tweetait ce matin une lectrice du Guardian, en écho à un article consacré par le quotidien à un rapport alarmant des Nations unies, faisant état de « l’absence de trajectoire crédible » pour maintenir le réchauffement à 1,5°C.

La question à 2°C (et même à 3°C) – celle qui devrait retenir toute notre attention – est de savoir pourquoi, devant cette chose énorme qui arrive sur nous, nous sommes aussi amorphes et indifférents…

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Discussion avec un chaman autour d’un verre

En prenant au sérieux la manière dont un « cleverman » australien perçoit les objets de notre environnement quotidien, on s’interroge ici sur notre incapacité à prendre en compte les processus vivants qui sous-tendent la fabrication et la marchandisation de ces objets. Un exercice d’anthropologie inversée qui éclaire la tristesse provoquée par la destruction de la symbiosphère.

Photo : Déconstruction d’une friteuse – ©M_Collette

La discussion porte sur un passage du livre « Réveiller les esprits de la Terre », de Barbara Glowczewski[1]. L’auteure y relate un échange avec le guérisseur aborigène Lance Jupurrurla Sullivan, qui eut lieu à Paris, dans l’appartement de l’anthropologue. Je reproduis ci-dessous un passage du discours de Sullivan, alors qu’il passe sa main sous la table où se trouve posée une plaque de verre.

« Ce verre… quelqu’un est en-dessous ici, tu peux voir à travers, tu peux les voir. Il y a un mur aussi, mais si tu utilises ton mungun, tu peux parler à cette personne derrière le mur en verre. Les autres gens d’aujourd’hui ne voient que le verre. Ils ne voient pas ce qui est derrière. Comme les petits Putinjee et Mugai, un esprit de très grande taille. L’esprit géant appartient aussi à la terre, il pourrait tuer des Aborigènes... »

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À l’âge de la Terre, l’humanité est plate.

Au moment où on reparle d’effondrement, nous tentons de faire le point sur la manière dont le « géocène » affecte la représentation de l’histoire, faisant émerger un retour du refoulé indigène. Pour prêter l’oreille à la possibilité d’une nouvelle polyphonie terrienne.

Photo : Camping Chaos ©Martin_Collette

Pourquoi parler de l’âge de la Terre, du « géocène » ? D’abord parce que ce choix nous évite un malaise, celui que nous infligerait le fait de nous ranger sous la bannière de l’anthropocène et de son narcissisme contrit. Ensuite, et surtout, parce que la notion d’un âge de la Terre prend acte du fait contemporain majeur : désormais, nous sommes « Face à Gaia », pour reprendre le titre d’un livre de Bruno Latour. C’est la Terre elle-même qui répond à nos pires excès et nous inspire nos plus grandes angoisses, qui impose son tempo, bien trop lent pour nos frénésies économiques, qui met un terme brutal à nos rêves de grandeur et de progrès. Le désastre où nous avançons n’est pas une énième réalisation de l’Homo faber (anthropocène) ni l’accomplissement sinistre de sa domination (capitalocène). Mais la réaction exaspérée de tout ce qui nous avait semblé négligeable, malléable, mobilisable. L’âge où la Terre a cessé d’être indifférente à notre indifférence.

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Espace animiste, espace totémique

Je propose ici un exercice d’ethnophilosophie, au cours duquel je tenterai d’identifier deux expériences prototypiques de la spatialité : l’une appartenant à l’animisme amazonien, l’autre au totémisme australien. Une tentative effilochée, forcément incomplète, dont le but est cependant clair : sortir d’un cadre spatial dominé par le pouvoir étatique et infesté par la nuisance capitaliste.

Pistes croisées @M_Collette

Il me faut d’emblée préciser que l’exercice ne prétend pas refléter la réalité vécue de ces communautés humaines. Je ne suis pas un expert de l’ethnologie et souhaite encore moins parler au nom de ces populations qui ont bien plus à dire que moi sur leur expérience. Non, l’objectif est ailleurs. Il s’agit, au sein même d’une expérience spatiale occidentale, qui s’avère à la fois destructrice et désespérante, ouvrir des brèches vers d’autres modes de composition d’un espace partagé, non seulement au sein d’une culture et d’un groupe humain, mais avec les autres formes de vie et toutes celles et ceux et ce qui habitent les paysages terrestres et mentaux.

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Ecouter Antigone Thunberg

Dans l’Antigone de Sophocle, la cité traverse une crise existentielle et un sombre présage plane sur son destin. Une jeune fille sort alors de la foule anonyme pour s’opposer à un roi égotique, obsédé d’ordre et de pouvoir, qui s’obstine dans une voie menant la cité à sa perte. Toute ressemblance…

Tanaxia rebelle @M_Collette

De la COP 26, on retiendra peut-être surtout ce « bla, bla, bla… » impertinent, scandé par Greta Thunberg à la face des leaders du monde. Car c’est le présage d’un grondement bien plus menaçant. Celui des peuples et de la Terre, abandonnés à un chaos annoncé et au joug de régimes autoritaires pratiquant le contrôle systématique, dont la pandémie actuelle n’est guère qu’un avant-goût.

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