Trois clés pour penser l’avenir en politique, avec Ezra Klein

Ezra Klein est un bloggeur et journaliste américain de renom. Derrière sa lecture des événements politiques qui secouent les États-Unis en 2025, se découvre une philosophie exigeante, qui nous guide dans le traitement d’un matériau politique hautement radioactif : l’avenir.

Read : 3 insights for thinking about the future on politics with Ezra Klein

Les journalistes ont pour mission de relayer les faits. C’est cette fonction, et la déontologie qui l’accompagne, qui font leur dignité et rendent leur tâche si essentielle. Et c’est parce que cette dignité et cette mission se trouvent menacées que les démocraties vacillent face à un nouveau régime technologique et médiatique de fabrication, de fanatisation et d’instrumentalisation des opinions.

Mais précisément, lorsque l’équilibre vital du système démocratique et médiatique est menacé, le rôle du journaliste devient celui d’un militant. Non pour une cause ou un parti. Mais simplement pour que survive la possibilité même d’un débat fondé sur des faits, et donc que se maintiennent les conditions de l’exercice de la démocratie. Il devient alors un éclaireur sur la voie d’un futur incertain. Et à la recension des faits, s’ajoute l’anticipation de l’avenir, ses risques et ses potentialités. Un exercice délicat. C’est là qu’Ezra Klein entre en scène.

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Repenser notre désir de nature

Petit manifesto pour une écologie à venir.

[COURT LETTRAGE] Commençons par une non-définition… Posons que la nature (parce qu’on souhaite que ce mot ait encore un sens), c’est partout où la vie échappe à notre contrôle et tout ce qui y échappe.

C’est donc aussi la promesse d’autres mondes possibles. Car il faut changer notre conception du monde. Ou plutôt y renoncer… : nous ne sommes plus face au monde ; le monde est ce qui survit en s’échappant de ce face-à-face destructeur. Le vivant devient interstitiel et pluriel. C’est la leçon des nouvelles éco-anthropologies et de leurs zones d’indécision, entre culture et nature.

Nous ne pouvons plus nous contenter de cette vision simpliste qui oppose la « vraie » nature à un espace domestique sous contrôle…

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Le pouvoir des idées

Petite philosophie de la création sociale. Nous décrivons ici trois formes sociales de la puissance : statuts, fortunes et idées. Des outils pour créer du collectif et allumer le changement ?

Tout part du concept de puissance. Celle de Spinoza, qui n’a d’autre objet que de s’éprouver elle-même en actualisant l’être, en se signalant par une libération de joie (il faut imaginer la joie lente et placide des montagnes en formation !). Celle de Nietszche aussi, « volonté de puissance » ou « volonté de volonté » : la vie se poursuivant elle-même dans une danse créatrice, en perpétuel déséquilibre, inventant ses mouvements au rythme des facéties du destin.

Telles sont les images – philosophiques et existentielles – d’une puissance originaire, qui surgit dans l’innocence et se consume dans la jouissance, indifférente aux souffrances qu’elle ne pourra éviter d’infliger : à ce qui lui fait obstacle, comme à celles et ceux qui en font l’épreuve et chevauchent sa tempête.

En termes ontologiques, la puissance s’éprouve dans son actualisation, c’est-à-dire dans le passage à l’acte de l’être, déroulant derrière lui le cortège passé des possibles réalisés (la « réalité »). Autour de ces foyers d’émergence, on voit alors s’agiter les contours fragiles et mouvants des différentes formes de la vie : espèces, individus, sociétés. En termes théologiques, le monde est Création immanente. Spinoza encore : « Dieu, c’est-à-dire la nature ».

Pour être moins aride et métaphysique, rappelons simplement que « puissance » signifie « pouvoir être ». Ou : « être déjà » sans déjà « avoir été »…

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Convertir la dette en politiques écologiques : un rêve pour 2030 ?

La promesse sucrée de l’annulation des dettes provoque un malaise éthique et conduit à une impasse écologique. Toutefois, l’idée pourrait en inspirer une autre: et si les États remboursaient leurs dettes sous forme de mesures de transformation écologique? Naïf, sans doute. Mais pas illogique.

Ici et là, on entend que la dette n’est pas vraiment un problème. Il suffirait de l’annuler. Je laisse aux économistes les discussions techniques (en notant qu’ils ne semblent pas s’accorder entre eux), pour me centrer ici sur les aspects éthiques et éco-politiques du problème.

Tout d’abord, il y a un malaise éthique. Il me semble que si les dettes publiques pouvaient et devaient être annulées, il faudrait commencer par les pays du Sud. Ceux-ci sont en tout état de cause les plus fondés à revendiquer cette annulation, eux qui paient à l’infini une charge injuste et violente, née de la colonisation et de la prédation économique qui a prospéré sur le corps meurtri des terres et des peuples dominés…

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Trois articles optimistes (ou qui tentent de l’être)

Ces trois articles ont été publiés dans les pages Débats de La Libre, entre mi-novembre et fin décembre. En espérant qu’ils préfigurent des pivotements positifs pour l’année qui vient.

Dans la catégorie COURT-LETTRAGE

Trump, premier président US d’un monde post-croissance ?

Et si la victoire de Trump annonçait un monde dans lequel on prend enfin au sérieux les limites planétaires ? C’est la question qu’on tente de décortiquer dans ce court article, publié le 15 novembre dans La Libre.

Extrait : « Ce dont manque le peuple, c’est moins d’éducation que d’imagination. »

Cop29 : changement d’ambiance sur la planète ?

Derrière un nouvel échec de la diplomatie climatique internationale, la COP 29 indique une reconfiguration du « mindset » planétaire. Il ne s’agit plus de « résoudre un problème », mais de partager les pertes exponentielles et des ressources réduites… Publié dans La Libre du 26 novembre 2024.

Extrait : « Désormais, l’argent a un prix. Et ce qui autrefois se résolvait par le pari religieux de la croissance tend à devenir conflictuel et transactionnel, ce qui révèle à nouveau une conscience confuse d’un horizon contraint… »

L’IA générative : l’antidote aux Fake News?L

La diffusion massive d’images générées par IA couronne-t-elle l’ère des « vérités alternatives » ? C’est le pari inverse qui est fait ici. Désormais, toutes les images seront par défaut équivoques. Et la vérité se cherchera par d’autres chemins, notamment le statut et la traçabilité des sources d’information. Un enjeu démocratique. Publication sur lalibre.be le 28 décembre 2024.

Extrait : « être capables d’instituer collectivement cette distinction entre les statuts de vérité des images et des discours, n’est-ce pas ce qu’on attend d’une société, et en particulier d’une société démocratique ? »

Bonne année !

COP29 : changement d’ambiance sur la planète ?

Un regard lexical de biais sur les négociations qui viennent de se terminer à la COP29 nous incite à l’optimisme. Optimisme modéré et ironique, puisqu’il s’inscrit dans un horizon de profonde désespérance. Notre problème s’aggrave dramatiquement. Mais ses coordonnées changent. La tonalité vire. Cela ouvre-t-il des perspectives nouvelles ?

Publié dans La Libre du 26 novembre 2024

Une fois encore, la montagne accouche d’une souris… Les prochaines années seront marquées par le comptage des catastrophes, des destructions, des victimes regrettées et des déportations subies ou dénoncées, des extinctions d’espèces et des conflits de ressources, plutôt que par le décompte des victoires diplomatiques et des grandes avancées collectives sur le chemin d’un monde stable, pacifié et partagé.

Pourtant, il serait erroné de penser que « rien ne se passe ». La manière dont se présente le débat et les termes dans lesquels il s’est posé à la COP29, autour de la question des compensations, indiquent à eux seuls un possible changement de paradigme. La communauté internationale est dans un autobus qui s’engage dans un virage : nous ne voyons pas encore la sortie, mais nous sentons déjà la force centrifuge qui décale notre perspective, déplace notre horizon.

Penser les invasives avec Anna Tsing

LECTURE. Les espèces invasives ne sont ni une « mauvaise nature » ni le « sauvage retrouvé ». Elles sont les espèces compagnes déchaînées de ceux qui ont oublié que le monde est un compagnonnage entre espèces. La première, Tsing a perçu que les invasives sont un objet anthropologique autant que biologique.

Penser les espèces « invasives » est un vrai défi. Mauvaises ? Sauvages ? Naturelles ? Rebelles ? Rien de tout cela, selon Anna Tsing, qui s’affirme plus que jamais comme notre sherpa dans un monde en ruine globale. Tsing, a qui l’on doit l’anthropologie monumentale d’une mycose globale (Le champignon de la fin du monde), est l’une des premières à percevoir que les espèces invasives sont un objet anthropologique tout autant, sinon davantage, que biologique.

Dans Proliférations, elle montre combien notre mépris des liens et dépendances qui tissent le monde vivant a fini par produire des êtres paradoxaux, issus des milieux non colonisés, mais liés à nos destructions et dépendants de nos colonisations.

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ANNA L. TSING. Proliférations. Wildproject, 2022.

Symbiosphere dans La Libre

Trump a su capter l’état d’esprit des classes populaires. Dans un monde violent, en virtuelle décroissance, il leur offre de rallier le camp des forts.

Extrait : « Ce dont manque le peuple, c’est moins d’éducation que d’imagination. Et l’imagination croît sur le terreau des possibles. Offrir de nouveaux possibles, c’est la tâche de la gauche et de l’écologie politique. »

À lire dans La Libre : Trump, pour se ranger derrière le plus fort

Sur ce blog, avec un titre différent : Trump, premier Potus d’un monde post-croissance

Les 3 « ismes » qui nous entraînent vers l’abîme

Trois courants, profondément ancrés dans la mécanique de nos sociétés contemporaines, se conjuguent pour nous entraîner dans une course infernale à bord d’une embarcation dont nous ne parvenons plus à reprendre le contrôle. Petit tour de ces 3 « ismes » redoutables, et propositions de trois autres « ismes », qui pourraient changer notre trajectoire.

Trois est un chiffre magique. J’y crois vraiment. Au moins, admettez que c’est un principe d’économie qui a ses avantages mnémotechniques. Tentons de l’appliquer à la longue histoire de l’Occident, pour en extraire les lames de fonds qui se mêlent pour nous entraîner dans un destin funeste.

1. COLONIALISME

C’est la maladie primaire. Le ver dans le fruit du premier verger. Ou plutôt : la rouille qui gâte le blé de la domination. Le colonialisme est bien plus profond qu’on le pense. Bien plus ancien que la colonisation. Non pas une excroissance impériale de l’État. Mais une tendance impérieuse de l’État…

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LIVRE : Sagesse des lianes

Quel rapport y a-t-il entre des plantes sauvages aux volutes indomptables et les révoltes d’esclaves dans les Antilles françaises ? C’est la question étrange à laquelle s’attaque ce petit livre inclassable, à la fois poétique et politique, signé Dénètem Touam Bona. Bref compte-rendu.

Quel rapport y a-t-il entre des plantes sauvages aux volutes indomptables et les révoltes d’esclaves dans les Antilles françaises ? C’est la question étrange à laquelle s’attaque ce petit livre inclassable, à la fois poétique et politique, signé Dénètem Touam Bona. Bref compte-rendu.

Attention : titre trompeur. Ce court essai ne vous rendra ni docile, ni résigné. L’auteur nous en avertit d’emblée : la sagesse dont il est ici question est un art subversif de la ruse et de l’esquive. La liane sert de fil conducteur sinueux et vivant dans un récit qui célèbre des siècles de résistance à la loi du plus fort…

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