La photo argentique pour resensibiliser le regard

La restauration de la nature passe aussi par la restauration de notre sensibilité. Avec ses contraintes propres, la photographie argentique offre un chemin privilégié pour déconstruire notre regard et recréer une sensibilité aux paysages et à leurs dynamiques vivantes. Un chemin d’ombre et de lumière.

Photo prise par une participante, lors d’un Atelier « Paysage argentique », au Parc national de l’Entre-Sambre-et-Meuse.

« Photographie » signifie étymologiquement « écrire avec la lumière ». La chimie argentique, surtout en noir et blanc, avec ses contrastes marquants et ses gris indistincts, le rappelle souvent cruellement à l’apprenti photographe. Car ce qui s’imprime sur la pellicule reproduit rarement l’imaginaire que notre regard projette sur le monde.

Ici, il ne suffit donc pas d’appuyer sur le déclencheur pour mettre en boîte une mémoire informatique des objets et des formes captées par notre regard, suivant les codes innés ou appris qui sont ceux de notre espèce et de notre culture.

À l’écart de l’utile et du beau, le regard se perd dans le flou de l’indécis, pour s’en remettre à la magie noire d’une obscure chimie d’argent. Qui sait ? Il en émergera peut-être, après révélation, un regard tout neuf pour rhabiller notre sensibilité diminuée…

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Aimer un monde abîmé

DÉFENDRE LA NATURE EN 2030

Là, dehors, nous pensons qu’il y a un monde et que son cœur bat encore. Un monde qui ne se réduit pas à nos environnements connectés et artificialisés.

Nous pensons que le mot « nature » a encore un sens. Nous croyons que ce sens surgit partout où le vivant nous résiste, nous surprend et déjoue nos plans.

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Explorez la symbiopshère en 10 livres

Le code du blog symbiosphere, craqué pour vous à travers dix essais qui voyagent entre anthropologie symétrique, philosophie perspectiviste et science des symbioses. + un remerciement.

Lisière ou l’épaisseur du trait ©M_Collette on Foma200

De Pierre Clastres à Anna Tsing, en passant par Deleuze et Guattari, ou encore Lynn Margulis, découvrez les auteur-es et ouvrages pour penser le monde à travers ses relations vivantes. Et poursuivez la réflexion en picorant dans notre liste de 10 articles.

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Argentine : la faillite des peuples dominateurs

Les récentes élections en Argentine éclairent dix ans de populisme dans le monde « blanc ». Après Trump et Bolsonaro, Milei offre un baroud d’honneur aux orphelins du colonialisme, de l’impérialisme et de la mondialisation asymétrique. La crise environnementale est un facteur décisif de l’humeur explosive des sociétés en déclin.

New words, ancient world. ©M_Collette. Analog photography on Fomapan 400.

L’Argentine, qui vient d’élire un trublion ultralibéral et néoconservateur, se considère comme « le pays blanc » d’Amérique du Sud. Et – inutile de le cacher – une partie de sa population en conçoit un sentiment de supériorité, voire une certaine arrogance. C’est ce que nous disent les spécialistes du pays, invités dans les émissions pour commenter le séisme électoral du 19 novembre dernier. C’est aussi le point de départ de la présente réflexion.

Le miroir brisé de la race

Ce miroir de blancheur m’a fait penser à un lien culturel profond et peu commenté entre les révoltes populistes qui, des Etats-Unis au Brésil, donnent la tonalité un peu carnavalesque au spectacle médusant du sabordage des démocraties représentatives occidentales. Il m’a aussi évoqué les travaux troublants de l’anthropologue James C. Scott qui, avec d’autres, a montré le visage ethno-colonial des États et des Empires qui ont façonné la trajectoire de la civilisation, dès son origine.

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Symbiosphère dans « La pensée écologique »

Dominique Bourg nous a fait l’honneur de publier un de nos articles dans la revue en ligne « La pensée écologique ». Son titre : « Venir-de-Terre : l’autre généalogie des Grec-ques ».

Photographie : Spinning on a barbed wire (c)M_Collette – Fomapan 400

Résumé: À côté de la patrilinéarité, qui installe le patriarcat au faîte du monde grec officiel, les textes archaïques révèlent une autre filiation, circulaire plutôt que linéaire, qui renvoie l’humain à l’humus et brouille les frontières de classe, de genre, d’espèce, en libérant des devenirs minoritaires terriens. Une géo-néologie contre une généalogie. La résistance s’organise autour du dionysisme.

Lire « Venir-de-Terre : l’autre généalogie des Grec-ques » sur lapenseeecologique.com.

Ceux qui n’avaient pas de monde

Pourquoi la destruction du monde se poursuit-elle imperturbablement sous nos yeux, alors que nous en connaissons les causes et les conséquences ? Dans cet article, on propose une piste de réflexion : l’hypothèse d’une radicalité religieuse opérant secrètement sous le manteau de la civilisation et sous le capot de l’économie capitaliste. Et si notre tragique chevauchée vers la destruction écologique n’était pas le fruit d’un enchaînement hasardeux ?

Photographie: Ipséité territoriale ©M_Collette

Ce que nous nommons « la Civilisation » est le fruit d’un lignage multimillénaire issu de la rencontre entre deux schèmes culturels : l’expansionnisme dominateur des États indo-européens et l’exclusivisme de la religion monothéiste sémitique. Le résultat est une pulsion absolutiste qui a pour unique objet de dévotion l’Un et le Même, et pour visée leur extension et leur répétition à l’infini. Ce fut d’abord le Dieu unique, défini par son unicité elle-même, puis le monarque et la Cité, enfin l’Humanité en tant qu’idée, et plus récemment le Sujet individuel sacralisé.

Mais à peu de chose près, cette civilisation qui est la nôtre méprise le monde. Au fond, rien n’existe vraiment en-dehors de Dieu et/ou de l’Homme, si ce n’est pour être résolu, soumis, converti, digéré, exploité. Au risque de radicaliser le propos, on dira que la civilisation se résume à un processus unique : saisir et broyer tout ce qui n’est pas Nous pour en faire plus de Nous. Et le capitalisme en est le mécanisme inconscient, la pulsion brute, incarnée dans une machine de profit économique incontrôlable et aveugle.

Telle est au fond notre religion civilisée inavouée, qui se propage – inchangée pour l’essentiel – depuis le plus antique germe du monothéisme jusqu’au capitalisme et sa sous-culture transhumaniste.

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Entrer dans la pensée-forêt

Penser avec les forêts, c’était la proposition de l’anthropologue Eduardo Kohn, pour rendre compte de son expérience parmi les Runas d’Amazonie. Le blog Symbiosphere a suivi cette invitation au fil de plusieurs articles évoquant les cultures amazoniennes et leurs modes de pensée symbiologiques.

Le passage de l’ esprit jaguar. Photo: M_Collette©

Le voyage (mental) vous tente? Découvrez nos incursions amazoniennes :

Avec Descartes dans la forêt, nous revisitons quelques grands thèmes de la métaphysique occidentale, en les confrontant à l’hypothèse animiste, abordée comme un pari alter-pascalien : celui de l’existence des Autres.

Dans Le Jésuite, l’Indien et les Communs, nous rejouons une scène du film The Mission, pour poser la question des Communs dans l’horizon d’un monde animiste, en contraste avec Gaël Giraud et le droit occidental.

Avec Espace animiste, espace totémique, c’est la conception même de la spatialité qui est questionnée en prenant d’abord au sérieux les espaces fractals intensifs des Aborigènes australiens. Ensuite, on y fait l’hypothèse d’une origine animiste de l’espace totémique, sur le modèle d’un espace relationnel éclaté inspiré par les expériences amazoniennes.

Enfin, Atlantis viridis : la légende des peuples du fleuve ffranchit la frontière entre histoire et fiction en racontant la vie oubliée d’une civilisation amazonienne disparue. Une hypothèse longtemps déconsidérée, mais aujourd’hui envisagée avec sérieux par l’archéologie. L’avenir se cache-t-il dans les replis du passé ?

Tenue de soirée : humiliations en cascade

(Re)voir « Tenue de soirée » en 2023 est une expérience troublante. Qui interroge sur la manière dont on aborde la place du genre et du désir dans le corps social. Cascade d’humiliations jouissives, quête de liberté sans issue, où jamais ne s’impose la question piégeuse de ce qui est subi ou choisi, le film est à la fois impossible à regarder aujourd’hui, et plus que jamais nécessaire.

Afficher la douleur . Photo : ©M_Collette on Fuji C200.

HORS PISTE – FICHE CINÉMA

En première analyse, « Tenue de soirée » semble une formidable entreprise de déconstruction de la société bourgeoise et de ses « role models ». Mari, épouse, riche, pauvre, honnêtes gens et malfrats y voient leurs contours s’évanouir et leurs places échangées, dans un tourbillon qui ne cesse de s’accélérer et emporte tout sur son passage.

Pourtant, on devine dès les premières minutes que le film a dû traverser un long purgatoire au cours des dernières années. C’est que les femmes en prennent plein la gueule. Littéralement. Et ce, dès la scène initiale, dont le comique réside dans une gigantesque baffe appliquée par Bob (Depardieu) à Monique (Miou-Miou). En rire nous emplit de culpabilité, aujourd’hui plus que jamais. C’est pourtant là que réside l’essentiel : tout le monde en prend plein la gueule. Et plein le cul. Dans une scène inattendue, Monique pique une colère contre Antoine (Michel Blanc), estimant qu’il pourrait bien consentir un petit effort (comprenez : accepter de se faire sodomiser par Bob). Après tout, elle-même ne cesse de subir ce sort humiliant. « Oui, mais pour les femmes, ce n’est pas pareil », tente Antoine. L’argument est balayé. Tous et toutes baisé-es.

S’en prendre plein la gueule, c’est précisément jouer le « rôle féminin ». Dans la fiction comme dans la vie. C’est ce que montre le film sous toutes les coutures et tous les angles. Comme un porno des âmes…

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Petit manuel d’éco-résistance

Symbiosphere a un faible pour les activistes et toutes celles et tous ceux qui refusent d’avancer en laissant les mondes vivants derrière eux. Nous leur avons rendu hommage dans plusieurs articles, à lire si vous les avez manqué (et si vous voulez). Pour tous ceux qui veulent empêcher le capitalisme de quitter la Terre en éteignant la lumière.

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Les guerriers de l’estuaire. Photo: M_Collette©

Le sacré massacré (2022)

En souillant des œuvres d’art, les activistes du climat dépassent-ils les limites du tolérable ? Ou bien nous posent-ils la question de ce que nous tolérons en laissant nos économies souiller le monde et dépasser les limites du vivant ? Et si, finalement, leur geste s’inscrivait dans la tradition de l’art contemporain ?

Les signes dans les méga-bassines (2022)

La sémiotique de Charles Sanders Peirce mobilisée pour tenter de débrouiller la situation conflictuelle et confuse qui entoure la contestation par des militants écologistes de la construction de méga-bassines dans les Deux-Sèvres.

Ecouter Antigone Thunberg (2021)

Certains textes font entendre une musique intemporelle, qui résonne étrangement avec l’actualité. Dans l’Antigone de Sophocle, la cité traverse une crise existentielle et un sombre présage plane sur son destin. Une jeune fille sort alors de la foule anonyme pour s’opposer à un roi qui mène la cité à sa perte. Toute ressemblance…

Amis, Ennemis : le Comité invisible en 10 citations (2018)

Ici, on cite et décortique Dix Commandements de la Révolte de la prose incandescente du Comité invisible. Pour ceux qui veulent en découdre ou qui aiment la littérature.

Les machines guattariennes : résister à l’ère de l’entropocène (2019)

Présentation de Félix Guattari, fondateur de l’écosophie anticapitaliste. Une ressource philosophique précieuse pour résister là où la menace rôde perpétuellement : à l’intérieur de notre pensée.

Descartes dans la forêt (2022)

Et pour terminer, un article qui rend hommage à celles et ceux qui doivent nous inspirer parce qu’ils s’opposent à la disparition de leur monde vivant, au risque de mourir avec lui. Ou comment des peuples traditionnels nous invitent à transformer l’éthique et la métaphysique…

Atlantis viridis : la légende des peuples du fleuve

Longtemps, nous les avons regardés comme les survivants d’une humanité primitive, des fossiles d’os et de chair, errant dans leur lugubre forêt. Pourtant, selon légende, il y avait là une civilisation joyeuse, qui cohabitait ingénieusement avec une forêt prodigieuse. Et si cette légende abritait une vérité plus précieuse et plus amère que nos certitudes ?

Lisière Photo : ©Martin_Collette

Parmi les récits que l’on nomme légendes, certaines ne portent ce titre que comme une parure pudique. Ainsi sont dissimulés les traits d’un passé peu flatteur pour notre présent, et estompés les durs contours d’une réalité qui menace nos âmes douillettes. Les comptes-rendus des premières expéditions au contact des peuples du fleuve, rapportés il y a bien longtemps par une poignée d’aventuriers téméraires, appartiennent à cette sorte d’histoires, qui firent un temps sourire les gens sérieux, avant de sombrer dans l’oubli.

Mais parfois, les fantômes des mondes oubliés se réveillent pour ajouter leurs lancinants sarcasmes aux affres d’un présent sombre.Et à ceux qui ne croient pas qu’un autre monde est possible, ils rappellent que ces autres mondes ont déjà été, bien que nous fussions incapables de les considérer.

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Cette évocation d’une histoire possible est librement inspirée du documentaire « Amazonie, les civilisations oubliées de la forêt », par Marc Jampolsky et Marie Thiry, 2022, disponible sur arte.tv.