Pour une écologie décentralisée. L'art des possibles et la science des symbioses. Twitter : @lower_max – FB: /symbiosphere.blog – LinkedIN : Max Lower ; symbiosphere.blog
Dominique Bourg nous a fait l’honneur de publier un de nos articles dans la revue en ligne « La pensée écologique ». Son titre : « Venir-de-Terre : l’autre généalogie des Grec-ques ».
Photographie : Spinning on a barbed wire (c)M_Collette – Fomapan 400
Résumé:À côté de la patrilinéarité, qui installe le patriarcat au faîte du monde grec officiel, les textes archaïques révèlent une autre filiation, circulaire plutôt que linéaire, qui renvoie l’humain à l’humus et brouille les frontières de classe, de genre, d’espèce, en libérant des devenirs minoritaires terriens. Une géo-néologie contre une généalogie. La résistance s’organise autour du dionysisme.
Dans leurs défaites comme dans leurs combats, les peuples de la Terre nous aident à comprendre la mécanique qui nous rend impuissants, insensibles et indolents face à la destruction du monde. L’exemple des Amérindiens est d’autant plus paradigmatique qu’il est sans doute inaugural dans l’histoire du capitalisme moderne. Voici pourquoi Indien vaut mieux que deux « tu l’auras ».
Voyage aux racines du mal. Venus d’une Europe accablée par la peste et portée à incandescence par le fanatisme religieux et les velléités guerrières des nouveaux États-Nations, des aventuriers avides et des chrétiens fondamentalistes se lancent à l’assaut du Nouveau Monde. Nous sommes à l’aube d’une ère nouvelle, qu’on appellera « moderne ». L’ère de la colonisation et de l’exploitation capitaliste.
Avec quatre siècles de recul, la destruction lente et systématique des sociétés amérindiennes, mais aussi leur résistance jamais éteinte, offre l’occasion de dégager une série d’opérations génériques par lesquelles des systèmes socio-écologiques sont capturés, exploités et épuisés. Ces opérations, à la fois mentales et physiques, éreintent les communautés entre les humains et leurs mondes, détruisant les liens de solidarité et de spiritualité qui unissent les vivants, les paysages, les esprits. Pour voyager à travers le temps et les plaines d’Amérique du Nord, nous prendrons pour guide James Wilson et son histoire de l’Amérique indienne[1].
Ce travail ne se veut pas seulement rétrospectif. Réduites à leur forme la plus rudimentaire, ces opérations forment en effet une typologie de base du « maraboutage » moderne capitaliste[2]. Elles révèlent le plan de construction d’une machine de broyage qu’il est aisé de voir à l’œuvre en tout lieu et en tout temps, et jusque sous nos yeux.
Les 5 mâchoires de la broyeuse capitaliste que nous voulons décrire ici. Nommons-les :
Pourquoi la destruction du monde se poursuit-elle imperturbablement sous nos yeux, alors que nous en connaissons les causes et les conséquences ? Dans cet article, on propose une piste de réflexion : l’hypothèse d’une radicalité religieuse opérant secrètement sous le manteau de la civilisation et sous le capot de l’économie capitaliste. Et si notre tragique chevauchée vers la destruction écologique n’était pas le fruit d’un enchaînement hasardeux ?
Ce que nous nommons « la Civilisation » est le fruit d’un lignage multimillénaire issu de la rencontre entre deux schèmes culturels : l’expansionnisme dominateur des États indo-européens et l’exclusivisme de la religion monothéiste sémitique. Le résultat est une pulsion absolutiste qui a pour unique objet de dévotion l’Un et le Même, et pour visée leur extension et leur répétition à l’infini. Ce fut d’abord le Dieu unique, défini par son unicité elle-même, puis le monarque et la Cité, enfin l’Humanité en tant qu’idée, et plus récemment le Sujet individuel sacralisé.
Mais à peu de chose près, cette civilisation qui est la nôtre méprise le monde. Au fond, rien n’existe vraiment en-dehors de Dieu et/ou de l’Homme, si ce n’est pour être résolu, soumis, converti, digéré, exploité. Au risque de radicaliser le propos, on dira que la civilisation se résume à un processus unique : saisir et broyer tout ce qui n’est pas Nous pour en faire plus de Nous. Et le capitalisme en est le mécanisme inconscient, la pulsion brute, incarnée dans une machine de profit économique incontrôlable et aveugle.
Telle est au fond notre religion civilisée inavouée, qui se propage – inchangée pour l’essentiel – depuis le plus antique germe du monothéisme jusqu’au capitalisme et sa sous-culture transhumaniste.
Penser avec les forêts, c’était la proposition de l’anthropologue Eduardo Kohn, pour rendre compte de son expérience parmi les Runas d’Amazonie. Le blog Symbiosphere a suivi cette invitation au fil de plusieurs articles évoquant les cultures amazoniennes et leurs modes de pensée symbiologiques.
Le voyage (mental) vous tente? Découvrez nos incursions amazoniennes :
Avec Descartes dans la forêt, nous revisitons quelques grands thèmes de la métaphysique occidentale, en les confrontant à l’hypothèse animiste, abordée comme un pari alter-pascalien : celui de l’existence des Autres.
Dans Le Jésuite, l’Indien et les Communs, nous rejouons une scène du film The Mission, pour poser la question des Communs dans l’horizon d’un monde animiste, en contraste avec Gaël Giraud et le droit occidental.
Avec Espace animiste, espace totémique, c’est la conception même de la spatialité qui est questionnée en prenant d’abord au sérieux les espaces fractals intensifs des Aborigènes australiens. Ensuite, on y fait l’hypothèse d’une origine animiste de l’espace totémique, sur le modèle d’un espace relationnel éclaté inspiré par les expériences amazoniennes.
Enfin, Atlantis viridis : la légende des peuples du fleuve ffranchit la frontière entre histoire et fiction en racontant la vie oubliée d’une civilisation amazonienne disparue. Une hypothèse longtemps déconsidérée, mais aujourd’hui envisagée avec sérieux par l’archéologie. L’avenir se cache-t-il dans les replis du passé ?
Dans cet épisode : une rencontre imaginaire entre la série d’Arte « Le monde et sa propriété » et le film « The Mission », de Joffé. Les traits de Gaël Giraud et de Jeremy Irons se mêlent ici pour révéler les failles des idéaux légalistes occidentaux et mettre en perspective le destin tragique des peuples amazoniens. L’occasion d’interroger et mettre en perspective le concept de Commun.
Dans le film The Mission (Roland Joffé, 1986), des missionnaires Jésuites s’enfoncent dans les hautes terres d’Amazonie pour y fonder des villages modèles évangélisés. L’action se déroule au XVIIIème siècle. Des Guaranis pacifiées et sédentarisés, christianisés par la musique, bâtissent des églises et chantent en chœur les louanges de Dieu, tout en continuant à vivre selon leurs coutumes, en symbiose étroite avec la forêt. Mais bientôt, en raison d’un transfert de souveraineté coloniale, les émissaires du roi et des entrepreneurs avides de richesse décident de reprendre le contrôle de la région, avec l’intention d’exploiter et réduire en esclavage la main-d’œuvre indigène. Pour sauver l’ordre des Jésuites et préserver l’alliance protectrice de l’Église avec l’État, les autorités religieuses imposent de démanteler les missions amazoniennes. Nos missionnaires, incarnés notamment par Jeremy Irons et Robert De Niro, font face à un douloureux dilemme : abandonner les Guaranis à leur sort ou mourir aux côtés des guerriers de la forêt.
Le souvenir du film, récemment revu, s’est imposé à mon esprit tandis que je regardais un épisode de la série « Le monde et sa propriété »[1], où des juristes et économistes s’expriment sur le concept de propriété, ses origines et ses implications. Parmi les thèmes abordés, il y a l’épineuse question des « communs ». Et au nombre des experts conviés à s’exprimer, se trouvait l’économiste Gaël Giraud, lui-même prêtre jésuite. Cette coïncidence minime a été comme le point focal d’une projection qui propulsa ce débat juridique et policé dans la jungle sud-américaine du dix-huitième siècle, les traits de Giraud se superposant à ceux de Jeremy Irons, déchiré entre sa quête d’un paradis terrestres et le réalisme sordide d’une Église à la remorque des États colonisateurs. Dans ce décor mouvementé où le droit se fait aussi touffu et obscur que la forêt la plus dense, j’eus la conviction que Giraud exprimait une position aussi ambigüe et illusoire que celle de ses aînés. Ce n’est pas là un motif de reproche, car c’est toute la thématique des communs qui se révèle imprégnée des paradoxes et difficultés d’un droit occidental voguant sur le cours tourmenté d’une histoire de spoliation et de domination, rendant utopique les efforts désespérés des belles âmes soucieuses d’ordonner le monde.
La manière dont certaines socialités autochtones résistent à leur destruction ou leur dissolution dans la culture ethnocapitaliste des Blancs éclaire en creux la façon dont leurs mondes sont détruits. Le cas australien, comparé à celui de l’Amazonie, témoigne de différentes approches spatiales et de la manière dont elles se confrontent à la logique d’appropriation-exploitation territoriale.
Lors d’une conférence donnée à Bruxelles ce 8 octobre, l’anthropologue spécialiste de l’Australie Barbara Glowczewski a relaté deux anecdotes qui ont inspiré cette réflexion et serviront à l’introduire et l’illustrer. La première est contenue dans un petit film réalisé par l’anthropologue, qui fut aussi cinéaste. On y voit les membres d’un groupe traditionnel, le corps orné de peintures rituelles, danser et chanter au milieu du désert, en compagnie de plusieurs Blancs. Un texte accompagne l’image, expliquant que ces Aborigènes escortent des émissaires blancs pour leur indiquer un « trou d’eau » sacré qu’ils tiennent à préserver de la destruction et de la pollution. Le texte indique que la compagnie minière qui exploite la région a accepté de laisser intact le sous-sol du site. Happy End provisoire…
En prenant au sérieux la manière dont un « cleverman » australien perçoit les objets de notre environnement quotidien, on s’interroge ici sur notre incapacité à prendre en compte les processus vivants qui sous-tendent la fabrication et la marchandisation de ces objets. Un exercice d’anthropologie inversée qui éclaire la tristesse provoquée par la destruction de la symbiosphère.
La discussion porte sur un passage du livre « Réveiller les esprits de la Terre », de Barbara Glowczewski[1]. L’auteure y relate un échange avec le guérisseur aborigène Lance Jupurrurla Sullivan, qui eut lieu à Paris, dans l’appartement de l’anthropologue. Je reproduis ci-dessous un passage du discours de Sullivan, alors qu’il passe sa main sous la table où se trouve posée une plaque de verre.
« Ce verre… quelqu’un est en-dessous ici, tu peux voir à travers, tu peux les voir. Il y a un mur aussi, mais si tu utilises ton mungun, tu peux parler à cette personne derrière le mur en verre. Les autres gens d’aujourd’hui ne voient que le verre. Ils ne voient pas ce qui est derrière. Comme les petits Putinjee et Mugai, un esprit de très grande taille. L’esprit géant appartient aussi à la terre, il pourrait tuer des Aborigènes... »
PETITE RéFLEXION sur LES RACINES écologiques du totémisme
Dans cet article, je poursuis mes recherches sur la constitution d’espaces terriens partagés, que je confronte ici à la lecture des textes de Philippe Descola. Il en résulte un exercice de redéfinition du totémisme, envisagé d’après son origine éco-topologique.
Je ne suis pas ethnologue. Je traite le sujet du totémisme en amateur, sous l’angle de mes réflexions transdisciplinaires sur la constitution des « anthropospaces », c’est-à-dire les manières dont les humains se figurent l’espace terrestre et comment ils le partagent avec d’autres vivants. Autant dire que je ne cherche en rien à polémiquer sur la pertinence ou la légitimité du concept ethnographique de « totem », ni sur le sens de l’approche ethnologique en général. Seuls m’intéressent les témoignages de la variété écosophique des conceptions, récits et pratiques qui relient les humains à leur environnement vivant. L’objectif demeure l’établissement de « transversalités planétaires » permettant de mutualiser des ressources pragmatiques indigènes pour « résister au désastre »…
Je propose ici un exercice d’ethnophilosophie, au cours duquel je tenterai d’identifier deux expériences prototypiques de la spatialité : l’une appartenant à l’animisme amazonien, l’autre au totémisme australien. Une tentative effilochée, forcément incomplète, dont le but est cependant clair : sortir d’un cadre spatial dominé par le pouvoir étatique et infesté par la nuisance capitaliste.
Pistes croisées @M_Collette
Il me faut d’emblée préciser que l’exercice ne prétend pas refléter la réalité vécue de ces communautés humaines. Je ne suis pas un expert de l’ethnologie et souhaite encore moins parler au nom de ces populations qui ont bien plus à dire que moi sur leur expérience. Non, l’objectif est ailleurs. Il s’agit, au sein même d’une expérience spatiale occidentale, qui s’avère à la fois destructrice et désespérante, ouvrir des brèches vers d’autres modes de composition d’un espace partagé, non seulement au sein d’une culture et d’un groupe humain, mais avec les autres formes de vie et toutes celles et ceux et ce qui habitent les paysages terrestres et mentaux.
Dans le cadre d’une recherche au long cours sur l’écologie de l’espace antique, plus particulièrement chez Homère, nous publions cette réflexion satellite sur le rôle du bétail caprin dans la co-création des espaces d’échange et de domination.
Fragment tissé d’une histoire symbiotique des anthropospaces.
La portée anthropologique et la signification spatiale du bétail caprin transparaît dès le début du voyage d’Ulysse, lorsque celui-ci découvre le pays des Cyclopes. Le géant monoculaire Polyphème est un pasteur qui conduit son troupeau parmi la végétation indomptée d’un pays couvert de bois et de garrigue. Homère le décrit avec un mépris certain, comme un aborigène arriéré. À la fin de la journée, les chèvres pénètrent dans la grotte où vit le géant, où elles sont traites et leur lait bu ou mis à cailler sur d’immenses étagères à fromage…