Promenade botanique en terre hésiodique

Au fil de nos recherches, l’espace grec archaïque se dévoile dans une tension entre plan d’immanence nomade et centres « d’émanence » locaux. Cette fois, cette composition duale de l’espace se révèle à travers les occurrences du végétal dans Les Travaux et les Jours d’Hésiode. Un texte qui dissimule peut-être aussi de la « magie politique » et nous interroge en questionnant la valeur du travail.

« Les travaux et les jours » (T&J) est une diatribe adressée par Hésiode à son frère Persée, qui l’a spolié de sa part d’héritage. L’ensemble du texte passe pour une exhortation à adopter une vie simple et juste, en se gardant des excès de l’hybris et de l’envieuse avidité qui conduit au conflit et à l’injustice. La figure de la vie droite et modérée, c’est le laboureur besogneux, résigné à son sort, qui exécute scrupuleusement et soigneusement les tâches nécessaires pour assurer sa subsistance, tâches qui sont énumérées dans T&J. Deux récits d’origine, le mythe des races et celui de Pandore, apportent successivement une justification à cette condition humaine qui voue les hommes aux rudes travaux des champs. Si ce texte de moraliste est avant tout centré sur la litanie des tâches agricoles qui rythment le temps cyclique des saisons, il comporte pourtant une série d’éléments qui intéressent notre recherche sur l’espace antique. C’est par une discussion de quelques-uns des nombreux passages renvoyant au monde végétal que je tâcherai d’esquisser quelques grands traits de cet « anthropospace » propre à la Grèce ancienne…

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Nature, limites et pandémies : la colère d’Artémis

La déesse de la chasse et des forêts vierges aime à décocher la flèche empoisonnée des épidémies contre ceux qui ignorent ou transgressent les limites entre la cité et l’espace sauvage. L’histoire pourrait s’arrêter là. Mais elle n’est pour nous que le début d’une enquête au long cours, qui vise à décrire l’efficace des modes de pensée non modernes pour restaurer la possibilité d’habiter des mondes…

Parmi les réflexions qui courent en ces temps de pandémie, il en est une qui suggère que la destruction des écosystèmes naturels, la dégradation de la biodiversité et la perturbation des échanges et interactions entre zones naturelles et zones anthropisées, favorisent l’émergence incontrôlable de nouveaux virus chez les humains. Cette hypothèse est basée sur une science écologique robuste et documentée (résumée notamment dans ce rapport du WWF). Cependant, ce n’est pas l’objet premier de cette petite contribution. C’est en effet sur un autre chemin que nous a conduit le lien entre pandémie et composition des espaces anthropiques et sauvages. Un chemin qui nous mène, une fois encore, à l’aube de la Grèce archaïque. Il nous conduira à questionner une notion fréquemment agitée en ces temps de péril écologique, celui de « limite ». Nous tâcherons d’entrevoir comment une déesse oubliée pourrait rendre un peu de son efficace à cette notion…

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Le COVID-19 valait bien un carnaval

L’un des premiers chocs de la crise a été pour nous l’annulation de plusieurs carnavals. Ainsi, une « petite » grippe allait avoir raison de nos traditions millénaires ? Après réflexion, nous avons pourtant bien eu un carnaval, et de grande ampleur. Peut-être même une tragédie dionysiaque. Mais quel en sera le dénouement ?

Dans la Grèce ancienne, la tragédie était d’abord une fête religieuse célébrée à l’orée du printemps. Elle était dédiée à Dionysos, un dieu étrange, connu pour être le patron des transes collectives et des breuvages capiteux. À l’instar de nos carnavals, la fête dionysiaque annonce la renaissance de la nature, tout en faisant sentir la fragilité de l’ordre social et du pouvoir en place. Comme pour nous rappeler que la puissance vitale et enivrante de la nature et du végétal n’est pas dénuée de certains risques. Et que la cité ne peut être totalement préservée du monde sauvage. Celui des forêts, des fauves. Et des virus…

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Article à suivre dans le numéro d’avril 2020 de la revue Kairos, dans le cadre du dossier : Le Covid-19 va-t-il tuer… le capitalisme ?

Le sens du foyer

Pour ces temps de confinement chez soi, Symbiosphere vous propose une escapade aux origines antiques du « foyer ». Notre périple aboutira à une théorie symbiologique des lieux-arbres, en lisière du troisième espace.

Ronde et offrande ©M_Collette

Cette réflexion de circonstance sur le foyer est aussi l’occasion de poursuivre notre recherche sur l’espace en suivant les traces emmêlées de notre antique rapport aux lieux et à la terre. Car à travers le foyer, nous le verrons, c’est un terroir, une terre, et finalement la Terre elle-même que nous habitons. Nous abordons cette histoire à l’aide des précieux travaux de Jean-Pierre Vernant, en particulier le texte « Hestia-Hermès. Sur l’expression religieuse de l’espace et du mouvement chez les Grecs ». Dans l’histoire occidentale européenne, la culture du foyer remonte à la littérature homérique (7ème et 6ème siècles avant l’ère chrétienne)… Lire la suite

Le Moyen Âge ou la délocalisation

Après la lecture de « La civilisation féodale » de Baschet, on tente de décrire une vaste opération de transformation de l’espace médiéval, qui annonce la transformation capitaliste.

La disparition de Saint Adrien. Photo: M_Collette©

Dans le cadre de nos réflexions sur les anthropospaces, nous proposons ici une analyse de la topographie religieuse au Moyen Âge, basée sur l’ouvrage de Jérôme Baschet, La civilisation féodale. Nous suggérons une reconfiguration en deux temps : centralisation rurale de l’espace religieux ; projection céleste du sacré. L’enjeu de cette opération, c’est une délocalisation générale, la dissipation de la puissance des lieux, la répudiation d’un espace tissé en commun avec les autres humains et non-humains. La terre deviendra bientôt un lieu de pure négativité… Lire la suite

Amazon, l’État et les guerriers nomades.

Le triomphe d’Amazon est-il un nouvel épisode – ou l’apothéose sombre – de la guerre entre États sédentaires et guerriers nomades? Dans cette nouvelle enquête à la recherche du présent profond, nous analysons 6 vérités sur le géant numérique, d’après le film « Le monde selon Amazon ».

C’est notre sujet d’étude du moment, à Symbiosphere : la guerre entre les États sédentaires et des tribus nomades (les fameux « Barbares ») est presqu’aussi vieille que l’État lui-même (1). Elle fait partie de sa construction et de sa consolidation, mais aussi de son imaginaire, de sa geste. Au fil d’une histoire plusieurs fois millénaire, cette opposition tisse une dialectique de contrôle, de peur et de violence dont les épisodes se soldent le plus souvent par des arrangements guerriers et commerciaux, plus ou moins transitoires, et mènent occasionnellement… Lire la suite