Pour une écologie décentralisée. L'art des possibles et la science des symbioses. Twitter : @lower_max – FB: /symbiosphere.blog – LinkedIN : Max Lower ; symbiosphere.blog
Auteur : symbiosphere
Biologiste et historien de la philosophie belge d’ascendance celte. Né en même temps que la crise pétrolière. Se revendique du courant alterdarwiniste et de la théologie des puissances intermédiaires confuses. Herboriste néopaïen, confesse une croyance à faible intensité en un Dieu unique et croit encore moins en l’Homme, mais bien à la multitudes des interactions et des esprits qui criculent entre la croûte terrestre et la voûte céleste, ainsi qu’aux chants et prières qui les flattent ou les agacent. Libéral pour les pauvres et socialiste pour les riches, juste pour rééquilibrer. Lance en 2016 une réflexion symbiopolitique en vue de renouer des alliances entre les populations humaines, végétales, animales et microbiennes contre la menace des biorobots et l’impérialisme technoreligieux de l’Occident capitaliste.
M.L. : « Tout ce qui précède est vrai sauf ma nationalité, car la Belgique n’existe plus assez pour me nationaliser. »
Pour tourner la page d’une année chaude et sombre, nous avons rassemblé une quinzaine de photographies originales publiées pour la plupart en 2022 sur ce blog . Vous trouverez, en bas, les titres des images et les liens vers les articles correspondant.
Les articles du blog Symbiosphere sont accompagnés de photographies originales, prises sur argentique à Bruxelles, en Wallonie et en France. Pour terminer l’année sur une note contemplative, nous en avons compilé une quinzaine, avec les titres et résumés des articles correspondants. L’occasion de parcourir les sujets développés ici depuis un an ainsi que quelques articles plus anciens.
Dans l’émission Déclic du 30 juin dernier, une capsule était consacrée à la construction d’une méga-centrale de captage du carbone atmosphérique. L’exercice était périlleux et, comme c’était à craindre, il s’est enlisé dans l’approximation et la confusion, contribuant au mythe techno-solutionniste que s’efforcent de nous vanter les chantres de l’économie de marché (« continuez à consommer, on s’occupe du reste »), mais qu’un média de service public devrait contribuer à questionner plutôt qu’à entretenir.
Dès les premiers mots de la journaliste, on comprend que les choses sont sur la mauvaise voie. Elle nous propose charitablement de nous rappeler les fondamentaux du problème. Elle nous dit (je cite de mémoire) : « Lorsqu’on brûle des combustibles fossiles, on libère dans l’atmosphère du CO2, le carbone (SIC) ». Ensuite elle nous explique – très justement – que ce carbone atmosphérique emprisonne la chaleur et provoque ainsi l’effet de serre.
Le péché fondamental, d’où découle la suite, se trouve niché dans l’incise discrète par laquelle la journaliste induit l’équivalence fatale : « CO2 = carbone ». Un auditeur peu averti en déduira que « le carbone, c’est mal », et que par conséquent, il suffirait de le « retirer » de l’atmosphère pour résoudre le problème climatique… C’est ici que s’enracine le merveilleux récit à propos d’usines magiques (on ne sait pas comment ça marche), qui vont sauver la planète et rapporter gros (la suite du billet, en très résumé)…
Lire la suite (sur le cycle complet du carbone et l’importance des journalistes)
La pensée animiste offre une alternative radicale à l’ontologie de domination et ses destructions écologiques. Monothéisme scientifique et exceptionnalisme humain nous empêchent de prendre cette pensée au sérieux. C’est pourquoi on l’aborde ici sous un angle éthique. Ou quand les chasseurs d’Amazonie nous font revisiter notre tradition métaphysique.
Sur ce blog, on a plusieurs fois invoqué le potentiel de la pensée animiste en tant que ressource pour la lutte écologiste (lire p.ex. Bolsonaro et l’insensibilité au monde). Comment ne pas désirer s’inspirer de celles et ceux qui vivent dans l’intimité des autres vivants, jusqu’à accepter de disparaître avec leur forêt, car elles et ils affirment cette inséparabilité essentielle de leur identité avec les liens qui tissent leurs mondes vivants.
Mais il faut bien avouer que, même pour celui qui prend la plume dans l’intention de défendre les peuples d’Amazonie, il est difficile d’aborder leur vision du monde sans une distance teintée de curiosité ou d’exotisme poétique. La difficulté trouve sans doute son origine dans la longue tradition monothéiste et scientifique qui irrigue notre vision anthropocentrique de la nature et de l’histoire…
La sémiotique de Peirce est ici mobilisée pour tenter de débrouiller de la confusion qui entoure la contestation par des militants écologistes de la construction de méga-bassines dans les Deux-Sèvres.
Si les méga-bassines ne sont pas le problème, elles sont bien l’indice d’un système agro-industriel qui n’a d’autre recours que la fuite en avant. Elles sont aussi le symbole d’une inertie politique face au désastre écologique. Et les affrontements sur le site de Sainte-Soline sont l’icône des violences écologiques et sociales qui s’annoncent partout autour de ressources raréfiées, devenues un Commun vital.
Ces retenues d’eau sont aussi l’occasion de sortir de la boîte à outils philosophique quelques concepts de la sémiotique de Charles Sanders Peirce…
De notre indolence hébétée face au désastre climatique à l’extinction de peuples qui ont lié leur destin à celui de leur forêt, courent les ruisseaux mortifères d’un « microfascisme » ordinaire, dont Bolsonaro est une cristallisation politique. Ce dimanche, il pourrait être le fossoyeur de l’Amazonie. Et ce n’est pas un hasard.
« We will spend the rest of our lives watching everything we know and love fall apart. And we are the lucky ones. » Voilà ce que tweetait ce matin une lectrice du Guardian, en écho à un article consacré par le quotidien à un rapport alarmant des Nations unies, faisant état de « l’absence de trajectoire crédible » pour maintenir le réchauffement à 1,5°C.
La question à 2°C (et même à 3°C) – celle qui devrait retenir toute notre attention – est de savoir pourquoi, devant cette chose énorme qui arrive sur nous, nous sommes aussi amorphes et indifférents…
Encore une fois, nous sommes pris en otages. D’un côté, on nous dit que la coupe du monde au Qatar est une folie climatique doublée d’un meurtre de masse. De l’autre, on nous rappelle qu’il s’agit seulement de football et que cela doit être une fête. Une juste conception du mot « hypocrisie » et de son étymologie permet d’envisager un boycott aussi légitime… qu’imparfait.
Géopolitique dans les décombres @M_Collette
Il est facile de hurler à l’hypocrisie, comme l’a fait l’éminent et bruyant président d’un de nos grands partis francophones. Dans une autre démocratie européenne avancée, sa position aurait sans doute été fragilisée après qu’il eut claironné, sur un réseau social, que non seulement il se déplacerait au Qatar, mais aussi qu’il le ferait sans le moindre état d’âme, jugeant que le boycott relève de « la plus crasse hypocrisie » (je cite de mémoire).
Car cet usage accusateur de la notion d’hypocrisie, attribuée à toutes les belles âmes qui s’émeuvent d’une réalité insupportable et inévitable, couvre une manière brutale de s’asseoir sur les dépouilles de 6500 ouvriers-esclaves et sur le climato-négationnisme implicite qui sous-tend cette immense et absurde débauche de béton et de climatisation. Sans même parler de la condition des femmes et des minorités…
La manière dont certaines socialités autochtones résistent à leur destruction ou leur dissolution dans la culture ethnocapitaliste des Blancs éclaire en creux la façon dont leurs mondes sont détruits. Le cas australien, comparé à celui de l’Amazonie, témoigne de différentes approches spatiales et de la manière dont elles se confrontent à la logique d’appropriation-exploitation territoriale.
Lors d’une conférence donnée à Bruxelles ce 8 octobre, l’anthropologue spécialiste de l’Australie Barbara Glowczewski a relaté deux anecdotes qui ont inspiré cette réflexion et serviront à l’introduire et l’illustrer. La première est contenue dans un petit film réalisé par l’anthropologue, qui fut aussi cinéaste. On y voit les membres d’un groupe traditionnel, le corps orné de peintures rituelles, danser et chanter au milieu du désert, en compagnie de plusieurs Blancs. Un texte accompagne l’image, expliquant que ces Aborigènes escortent des émissaires blancs pour leur indiquer un « trou d’eau » sacré qu’ils tiennent à préserver de la destruction et de la pollution. Le texte indique que la compagnie minière qui exploite la région a accepté de laisser intact le sous-sol du site. Happy End provisoire…
La nature est comme une tapisserie dont nous ne voyons plus que les motifs géométriques répétés, ignorant le tissage perpétuel et les entrelacs solidaires d’une multitude besogneuse, souvent invisible, qui confère aux mondes vivants leur chair sensible. Dans cet essai d’étymologie écosophique, on tente de redonner droit à cette autre nature, dont la destruction s’accomplit obstinément sous nos pieds.
Tout (et plus encore) a été écrit à propos de la phusis, le terme grec qui désigne la « nature ». Substantif du verbe phuô, qui signifie « pousser » ou « (faire) croître », la phusis grecque évoque une puissance terrestre expansive, une poussée immanente, qui renvoie directement au monde végétal, comme le démontre le terme voisin phuton, qui s’applique à tout type de plante.
Il est peu probable en revanche qu’un parallèle ait été établi entre phuton et « futon », mot d’origine japonaise désignant un matelas de méditation souple. Tout suggère en effet une coïncidence phonétique…
« L’homme est un loup pour l’homme » : phrase fondatrice de la modernité, mais hantée par un oubli ancien, qui nie la longue relation transformatrice entre humains et canidés. C’est pourtant sur ce déni que repose l’anthropologie brutale et égoïste d’une civilisation prédatrice.
Homo homini lupus est. Avec Hobbes, l’expression prend un tour nouveau, lourd de présupposé sur les hommes, mais aussi sur les loups. Et sur la relation entre ces deux espèces. Ou plutôt leur non-relation, puisqu’il semble que loups et hommes n’ont d’autres liens que cette équivalence métaphorique qui fait de l’humain un prédateur pour lui-même. C’est là le point de départ de cette réflexion : la pensée qui fait de l’homme (et la femme ?) un loup pour ses semblables ne semble pouvoir se cristalliser que lorsque la machine-État a déjà coupé le lien de l’humain à l’humique, de sorte que le premier se perçoit lui-même comme seulement humain et conçoit le loup comme seulement sauvage, oubliant leur fond terrestre commun et leur longue histoire symbiotique. Ce n’est sans doute pas un hasard si cette fiction a servi à fonder un contractualisme moderne imprégné du dualisme radical entre culture et nature. Lire la suite…
En prenant au sérieux la manière dont un « cleverman » australien perçoit les objets de notre environnement quotidien, on s’interroge ici sur notre incapacité à prendre en compte les processus vivants qui sous-tendent la fabrication et la marchandisation de ces objets. Un exercice d’anthropologie inversée qui éclaire la tristesse provoquée par la destruction de la symbiosphère.
La discussion porte sur un passage du livre « Réveiller les esprits de la Terre », de Barbara Glowczewski[1]. L’auteure y relate un échange avec le guérisseur aborigène Lance Jupurrurla Sullivan, qui eut lieu à Paris, dans l’appartement de l’anthropologue. Je reproduis ci-dessous un passage du discours de Sullivan, alors qu’il passe sa main sous la table où se trouve posée une plaque de verre.
« Ce verre… quelqu’un est en-dessous ici, tu peux voir à travers, tu peux les voir. Il y a un mur aussi, mais si tu utilises ton mungun, tu peux parler à cette personne derrière le mur en verre. Les autres gens d’aujourd’hui ne voient que le verre. Ils ne voient pas ce qui est derrière. Comme les petits Putinjee et Mugai, un esprit de très grande taille. L’esprit géant appartient aussi à la terre, il pourrait tuer des Aborigènes... »