A Philosophical Hesitation about Holobionts.

Apparently, there is a « microbe revolution » going on these days. Without being a specialist at all, I see it as a critical step in modern biology in the sense that it gets us facing the choice between two roads ahead.

The first option is obviously to expand the notion of what is an individual, from one nuclear DNA and its expression to multispecies DNA and its interconnection. This consists in trying to maintain (save?) the reductionist paradigm of Neo-Darwinism*, which is in essence a neo-mechanism.

But this option raises questions such as where is the physical limit between holobionts, since microbes can come in and out of my body and even of my cells? And why should we consider the host-microbes interactions as a part of one larger individual while we’re leaving the other interactions outside the holobiont at the same time? Ultimately, why not considering a whole ecosystem, or even the biosphere, as one big holobiont? And in this case, what would be the space left for selection and competition as the drivers of evolution? These could be serious epistemological issues, in my opinion.

On the other hand, we could go the other way and expand the notion of environment (or rather ecosystem) to the very inside of organisms. This is a much risky and foggy direction, but it looks so much more exciting at the same time. And to be honest, I see it as a moral emergency that we change our view on nature in a time when we are turning the world into a desert for living diversity.

This second option is for me a revolution in a much more deep sense, because it breaks away from the so-called « modern synthesis » of the genomic era, when any questions had to be answered by a gene locus and a more or less deterministic biosynthetic pathway. But it requires that we turn away from the all-mighty paradigm of selfish individuals or/and genes and start considering a world where relations are prior to entities, that is a constructivist and pluralistic world saturated of polysemous signalling activities, where the « me » and the « non-me » are becoming pretty blurred, negotiable, relative.

This may not fit into our rather fantastic vision of science as the production of unequivocal and permanent causal relations emerging through technological and statistical processes, but it could be a still more exciting and moving challenge : questioning the unending possibilities and modalities of coexistence in a pluralistic universe.

* Read for example Bordenstein S R & Theis K R, 2015. Host Biology in Light of the Microbiome: Ten Principles of Holobionts and Hologenomes, PLoS Biol 13(8).

Biomimétisme ou symbiotechs ?

Le biomimétisme doit-il être dépassé ou complété ? Réflexion inspirée par la lecture du livre de Gauthier Chapelle et Michèle Decoust, « Le vivant comme modèle ».

ENGLISH SUMMARY

Dans leur livre, « Le vivant comme modèle », Gauthier Chapelle et Michèle Decoust commencent par poser avec lucidité et gravité les enjeux liés à l’avenir de l’espèce humaine sur cette planète, soumise à un mode de développement insoutenable selon eux. Ensuite, le livre développe l’approche biomimétique dont Gauthier Chapelle est un spécialiste reconnu, multipliant les exemples en s’élevant graduellement des structures microscopiques des matériaux vivants dotés de propriétés désirables jusqu’aux vastes écosystèmes productifs domptés en souplesse par l’agroécologie. Or, dans les premiers chapitres  de ce panorama, les auteurs admettent à plusieurs reprises que les innovations proposées n’ont pas permis de relever les défis écologiques. Bien souvent, ces technologies ont eu un effet négligeable ou neutre du point de vue environnemental. Dans certains cas, elles ont induit de nouveaux gaspillages, infligés de nouveaux surcoûts énergétiques, entraîné de nouvelles fuites en avant productivistes. Quand elles ne sont tout simplement pas restées lettres mortes. Le contraste est saisissant avec le cas de l’agroécologie, abordé dans les derniers chapitres du livre, notamment avec l’étude d’une ferme en permaculture hautement productive. Les questions que nous nous posons sont dès lors les suivantes : l’agroécologie est-elle un exemple « parmi d’autres » de biomimétisme ? ou doit-elle son succès à  une méthodologie différente, plus exigeante, irréductible au seul fait de s’inspirer des trouvailles de l’évolution ? et dans ce dernier cas, ne faut-il pas préciser ou modifier la terminologie pour éviter de rassembler dans un même panier des techniques et solutions durables et d’autres qui ne sont pas soutenables ?

Tout se passe comme si la construction de « Le vivant comme modèle » superposait deux logiques. Une logique scientifique et descriptive, annoncée d’emblée, consiste à s’élever du niveau moléculaire jusqu’aux symbioses et aux écosystèmes, en passant par le métabolisme, la forme, l’architecture, etc. Mais selon une autre logique sous-jacente, tacite, qui semble se construire au fil des pages, les auteurs semblent cheminer vers une nouvelle approche, qui tendrait à dépasser les promesses de performance, de rapidité, de rentabilité que porte (encore) en lui le biomimétisme*. Un exemple résume à lui seul ce renversement en cours d’écriture : après avoir décrit un rêve avorté de photovoltaïque organique (en bref, créer artificiellement des arbres électriques), le livre aborde en fin de parcours un projet beaucoup moins faustien d’agroforesterie, où il s’agirait de collaborer avec les arbres pour en tirer nourriture, microclimat, hygrométrie favorable, combustible renouvelable… On sent bien ici que les déterminants de l’anthropocène (changement climatique, épuisement des ressources, tension des écosystèmes) impose de dépasser les seuls critères du biomimétisme pour embrasser une réalité plus complexe qui pose l’enjeu de notre coexistence avec les réalités naturelles que nous étudions, imitons, exploitons…

Sous cet angle, le livre de G. Chapelle et M. Decoust témoigne peut-être d’une profonde mutation en cours dans l’approche moderne des sciences de la vie. Une mutation quelque peu forcée par les premiers effets catastrophiques du « capitalisme à tombeau ouvert » sur la disponibilité des ressources, l’intégrité des écosystèmes et la stabilité du climat, mais qui repose également sur les récentes recherches en biologie des symbioses, comme nous le verrons plus loin. Plus profondément, cette mutation suggère un changement de paradigme dans la culture contemporaine, qui nous ferait sortir de l’impératif moderne de domination et d’instrumentalisation de la nature énoncé au XVIIème siècle, et dont le biomimétisme resterait un héritier, manifestant en somme une forme subtile d’extractivisme, consistant à tirer les idées cachées dans le vivant pour les reproduire à l’échelle de notre avidité économique.

Dans le nouveau paradigme, partagé par l’agroécologie la plus en vogue et les systèmes traditionnels les plus ancestraux, l’être humain ne peut tout simplement pas faire abstraction de sa propre place, il ne peut plus se considérer en position de domination instrumentale, ni même en position de neutralité « scientifique » (n’est-ce pas ce que signale le passage à l’anthropocène : l’impossibilité d’une description sans implication ?). Le point de vue des acteurs humains, qui suppose bien évidemment la production de leurs moyens de subsistance, doit désormais aussi s’insérer dans de vastes réseaux relationnels qui tiennent compte d’autres points de vue que le nôtre : celui des microorganismes qui assurent la fertilité du sol ou la santé de notre tube digestif ; celui des prédateurs qui trônent au sommet de vastes écosystèmes productifs et régulateurs du climat ; celui des pollinisateurs qui assurent depuis des millénaires la reproduction de leurs partenaires végétaux avec une précision et une expertise inégalable. Alors, il ne s’agit plus de compétition mais de collaboration avec les autres (inter)acteurs des écosystèmes que nous habitons et que nous sommes. Collaboration toujours délicate, à construite dans chaque situation, dans chaque écosystème, de manière productive certes, mais aussi en veillant à ne pas en bouleverser les équilibres.

Il s’agit en somme d’acquérir les compétences des symbiontes. L’intérêt récent pour les symbioses, la découverte de leur abondance et de leur importance évolutive, signalent à mon sens le changement de paradigme énoncé plus haut au sein des sciences du vivant, où l’écologie et l’éthologie ont permis de tempérer quelque peu le triomphalisme du néodarwinisme et du « tout au génome ». Un symbionte est capable de manipuler les fonctions de son hôte et d’en détourner les produits à son avantage. Toutefois, cela ne se fait pas au détriment de son partenaire ou hôte, qui de son propre point de vue, exécute bien souvent les mêmes actions d’effraction et de piratage à son avantage. Par exemple, si les recherches récentes montrent l’importance du microbiome pour la santé de mammifères tels que nous, des auteurs ont aussi avancé l’hypothèse que l’apparition des métazoaires, avec leur tube digestif, peut être considéré comme une adaptation des bactéries à la vie terrestre aérobie, leur offrant des conditions physico-chimiques favorables ainsi qu’un apport régulier en nutriments. L’alternative est stérile, mais elle présente l’intérêt de mettre en lumière ce basculement culturel vers une vision de la nature comme irréductiblement multiple et pluraliste. Comprendre ce monde ne peut plus se résumer à dresser la liste des vainqueurs et celle des perdants. Dans ce monde, plusieurs « vérités » coexistent parce que plusieurs points de vue coexistent. C’est pour nous une leçon majeure de la science des symbioses.

Quitter le paradigme de domination et de contrôle intellectuel, mais aussi de profit économique, pour envisager un nouveau rapport mutualiste avec la biosphère, toujours situé par des pratiques locales (tant d’exemples peuvent nous inspirer, depuis la médecine traditionnelles jusqu’à la vinification, sans parler de la domestication des céréales ou le pâturage extensif), c’est aussi opérer un glissement d’une ambition purement technologique vers une vision pluraliste et collaborative des rapports productifs que nous entretenons avec notre environnement (et avec nos semblables). Bien que je crois être en accord avec le propos du livre de Gauthier Chapelle et Michèle Decoust, je suggère donc d’utiliser le néologisme symbiotechs (pour « symbiotechnologies ») pour clarifier la transformation en cours. Il me semble refléter les nouveaux enjeux de ces pratiques à inventer, mieux que le terme de biomimétisme, encore teinté du prométhéisme qui dominait à l’époque où il a été forgé.

En conclusion, le champ de la recherche biologique, tout comme le livre de Gauthier Chapelle et Michèle Decoust, témoigne de manière éclairante qu’une transformation est à l’œuvre, notamment avec le développement de l’agroécologie (la discipline fait son entrée à l’Université Libre de Bruxelles cette année) et de la médecine du microbiome, qui a récemment fait l’objet d’un programme lancé très officiellement par la Maison Blanche. Ces disciplines en plein essor préfèrent le tissage patient de relations à long terme avec les interacteurs des écosystèmes* « champs » et « corps » aux techniques invasives maximisant le rendement immédiat en éliminant des acteurs considérés comme « nuisibles », avec des effets imprévisibles et des coûts souvent inaperçus. Ce changement apparaîtra à certains comme un retour en arrière, simplement parce qu’il nous ramène en-deçà de l’ambition de la science moderne et de l’exaltation productiviste des trente glorieuses. Il n’est en rien un renoncement à la science. Il demande au contraire plus de science, mais aussi une science plus variée, plus pratique, plus locale. Une science qui ne cherche ni à éliminer, ni à modifier, ni à exploiter son objet, mais à établir avec lui des relations durables, productives et bénéfiques en développant si besoin est des « symbiotechs » de plus en plus fines et complexes. Cette science n’est pas humble mais joyeuse, si la joie de comprendre consiste, comme le pensait Spinoza, à augmenter son pouvoir d’agir et de sentir tout en nouant des relations bénéfiques avec ceux qui nous entourent.

* Ici aussi je propose un néologisme pour ceux qui en sont friands, en parlant plutôt de « symbiosphère » que d’écosystème, qui a encore le goût d’un objet scientifique que l’on peut tenir à distance.

Chapelle G. et Decoust M., Le vivant comme modèle. Albin Michel, 2015.

Nuit debout, formation en horaire décalé

Tandis que les idéaux du socialisme et du libéralisme fusionnent dans la mort, des jeunes se rassemblent pour regarder « Demain ». Puisque les Lumières sont éteintes, on allume des feux.

Ils sont de plus en plus nombreux à le penser, sinon à le dire, à tous les étages de la société : le monde qui nous a vus naître vit ses derniers instants. Son cœur continue à battre, comme par une vieille habitude. Son esprit s’accroche aux certitudes qui l’ont fait tenir debout. Le progrès sans fin vers l’universel humain. Les miracles de la science. L’irrésistible marche en avant de la civilisation. Alors on continue à nous dire, chaque soir à la télé, qu’il faut encourager les plus riches à s’enrichir encore, car c’est pour le bien de tous, que la croissance est bientôt de retour, qui permettra enfin de redistribuer les richesses insolentes acquises par les 10% les plus riches au fil des crises. Pourtant, on nous avait annoncé le matin que les ressources planétaires sont limitées, que les écosystèmes craquent de partout et qu’une croissance infinie n’est pas possible dans un monde fini. Pour tenter maladroitement de colmater les brèches de ce discours qui prend l’eau, quelques illuminés errent en chantant les louanges des nanotechnologies, des OGM et des énergies vertes, qui viendront nous tirer de ce mauvais pas. Mais plus personne n’y croit vraiment. La plupart font semblant de s’en convaincre. Les plus cyniques se préparent à bâtir des murs autour d’un simulacre de prospérité et de liberté. Pas tous cependant…

Le bilan est rude. Le libéralisme est devenu une obsession morbide (« il faut gagner plus pour, euh… pour gagner encore plus »). Le socialisme est devenu un doudou mental (« un jour, mon prince viendra redistribuer les richesses »). La foi en la technologie est le dernier avatar d’un messianisme chronique dans un monde hanté par sa disparition (« les robots viendront nous sauver »). Et au milieu de tout cela, on continue à former nos futures élites en les gavant de ces trois sortes de foin. Heureusement, la jeunesse, cette jeunesse de 7 à 77 ans (mais surtout de 17 à 27) qui ne peut se satisfaire de fausses illusions et d’idoles fantomatiques, montre encore quelques signes de santé mentale. Alors elle sort du bois. Hors des murs. Hors des écoles où on étouffe. Hors des médias où on lui sourit de manière condescendante. Hors des partis où on s’arrache les lambeaux du mourant. Hors d’ici. Dehors. Ailleurs. Nulle part. Au milieu du monde, pour veiller sur sa dépouille. Honorer sa mémoire. Et chérir la faible lueur d’espoir que nos plus illustres aînés ont su nous transmettre. Car oui, un autre monde est possible après celui-ci.

Sur la nouvelle agora parisienne, on projetait lundi le film « Demain ». Unanimement reconnu comme un agréable « feel good » movie à destination des bobos en mal d’idéal (description du produit à usage des équipes du marketing), ce documentaire devient soudain la formation de base d’un peuple à venir, un peuple qui doit pallier aux ratiocinations des médias, aux lacunes du système scolaire, aux chimères du discours économique et publicitaire. Ce film nous dit simplement qu’il est possible de produire et consommer autrement, sans épuiser les sols ni raser les forêts. Il nous dit qu’il est possible d’échanger autrement, sans passer par le piège du crédit universel qui alimente les bulles financières et les inégalités meurtrières. Des choses assez simples. Pas vraiment neuves. Pour une vie assez simple. Pas vraiment extravagante. Loin des paradis artificiels généralisés par le modèle de la société ultra connectée et individualisée de l’humain augmenté (sic) et de la consommation instantanée. Ce n’est peut-être pas suffisant pour donner un nouveau souffle à notre civilisation. Mais après tout, c’est de l’espoir à partager. Et l’espoir est comme un feu. Et c’est autour d’un feu qu’est née notre civilisation, comme toutes les autres. Sans le feu central d’un espoir qui se partage comme un repas, une société ne vit pas, elle s’éteint en s’atomisant. Aujourd’hui, le feu brûle sur les places de France. Comme dans bien des villages aux quatre coins du monde. Et au total, ça réchauffe.