Catastrophes éco-climatiques : quand la Nature imite l’Homme

Le concept écologique de « shift » (basculement) éclaire les désastres écologiques et climatiques à l’œuvre, à l’échelle locale et globale. Il montre combien ces désastres s’inscrivent dans une histoire et une logique anthropique, qui se déploie depuis cinq siècles à travers la colonisation, l’intensification et l’industrialisation.

Commençons par un peu de théorie. Pour un écosystème donné, il existe en général : deux états stables possibles ; une situation de basculement (shifting) ; et une dynamique d’irréversibilité catastrophique, marquée par une série de seuils.

  • Deux états stables alternatifs ;
  • Un basculement sous la pression des perturbations et des stress ;
  • Une irréversibilité symbolisée par une courbe en escalier ;
  • Des seuils variables

L’irréversibilité renvoie ultimement à une règle fondamentale de l’univers, suivant la thermodynamique : l’entropie. Or, si tous les systèmes tendent à disperser leur énergie et à se diluer dans l’univers, la vie est précisément l’anomalie qui maintient l’énergie au sein d’un système semi-fermé d’une complexité ahurissante. Lorsqu’on défait la subtile magie de cette complexité, l’entropie reprend ses droits, et à la vie s’éteint ou se simplifie.

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La photo argentique pour resensibiliser le regard

La restauration de la nature passe aussi par la restauration de notre sensibilité. Avec ses contraintes propres, la photographie argentique offre un chemin privilégié pour déconstruire notre regard et recréer une sensibilité aux paysages et à leurs dynamiques vivantes. Un chemin d’ombre et de lumière.

Photo prise par une participante, lors d’un Atelier « Paysage argentique », au Parc national de l’Entre-Sambre-et-Meuse.

« Photographie » signifie étymologiquement « écrire avec la lumière ». La chimie argentique, surtout en noir et blanc, avec ses contrastes marquants et ses gris indistincts, le rappelle souvent cruellement à l’apprenti photographe. Car ce qui s’imprime sur la pellicule reproduit rarement l’imaginaire que notre regard projette sur le monde.

Ici, il ne suffit donc pas d’appuyer sur le déclencheur pour mettre en boîte une mémoire informatique des objets et des formes captées par notre regard, suivant les codes innés ou appris qui sont ceux de notre espèce et de notre culture.

À l’écart de l’utile et du beau, le regard se perd dans le flou de l’indécis, pour s’en remettre à la magie noire d’une obscure chimie d’argent. Qui sait ? Il en émergera peut-être, après révélation, un regard tout neuf pour rhabiller notre sensibilité diminuée…

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Conservation de la nature : vers une troisième voie

Schématiquement, on peut identifier deux grandes tendances dans le domaine de la conservation de la nature : naturalisme et humanisme. Au-delà de leurs oppositions apparentes, ces courants partagent un ancrage commun dans une modernité occidentale, qui sépare nature et culture, tout en assignant aux humains une place éminente (pour le meilleur ou pour le pire). Le temps est peut-être venu d’explorer une troisième voie…

Extraits :

« Pour résumer le courant naturaliste, on dira qu’il pense la nature sur le mode d’une séparation idéalisée. Ce qui est visé, c’est le retour de la « grande nature » : un paradis perdu. L’attitude déployée vis-à-vis de son objet est le respect (étymologiquement : un regard distancié sur la chose). La nature est cette entité indépendante et indifférente, considérée avec cette forme de révérence, si ce n’est de dévotion, qu’on réserve aux choses qui ont le parfum du sacré.

« Dans le courant humaniste, le mot qui résume notre rapport à la nature n’est plus « respect », mais « responsabilité » : nous avons le devoir de répondre à la détresse des autres espèces et d’organiser le cours rationnel et durable du monde. La place du sacré est cette fois occupée par l’humain : si nous avons le devoir de protéger la nature, c’est avant tout pour être digne de notre propre exceptionnalité humaine.

« Cette troisième voie permet de décaler notre regard en nous écartant un peu de ce déterminisme historique, pour ouvrir un riche chantier d’expérimentations et de négociations entre les multiples manières de vivre et d’exister, humaines ou non-humaines, culturelles ou naturelles, scientifiques ou traditionnelles.

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Aimer un monde abîmé

DÉFENDRE LA NATURE EN 2030

Là, dehors, nous pensons qu’il y a un monde et que son cœur bat encore. Un monde qui ne se réduit pas à nos environnements connectés et artificialisés.

Nous pensons que le mot « nature » a encore un sens. Nous croyons que ce sens surgit partout où le vivant nous résiste, nous surprend et déjoue nos plans.

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Trois clés pour penser l’avenir en politique, avec Ezra Klein

Ezra Klein est un bloggeur et journaliste américain de renom. Derrière sa lecture des événements politiques qui secouent les États-Unis en 2025, se découvre une philosophie exigeante, qui nous guide dans le traitement d’un matériau politique hautement radioactif : l’avenir.

Read : 3 insights for thinking about the future on politics with Ezra Klein

Les journalistes ont pour mission de relayer les faits. C’est cette fonction, et la déontologie qui l’accompagne, qui font leur dignité et rendent leur tâche si essentielle. Et c’est parce que cette dignité et cette mission se trouvent menacées que les démocraties vacillent face à un nouveau régime technologique et médiatique de fabrication, de fanatisation et d’instrumentalisation des opinions.

Mais précisément, lorsque l’équilibre vital du système démocratique et médiatique est menacé, le rôle du journaliste devient celui d’un militant. Non pour une cause ou un parti. Mais simplement pour que survive la possibilité même d’un débat fondé sur des faits, et donc que se maintiennent les conditions de l’exercice de la démocratie. Il devient alors un éclaireur sur la voie d’un futur incertain. Et à la recension des faits, s’ajoute l’anticipation de l’avenir, ses risques et ses potentialités. Un exercice délicat. C’est là qu’Ezra Klein entre en scène.

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Repenser notre désir de nature

Petit manifesto pour une écologie à venir.

[COURT LETTRAGE] Commençons par une non-définition… Posons que la nature (parce qu’on souhaite que ce mot ait encore un sens), c’est partout où la vie échappe à notre contrôle et tout ce qui y échappe.

C’est donc aussi la promesse d’autres mondes possibles. Car il faut changer notre conception du monde. Ou plutôt y renoncer… : nous ne sommes plus face au monde ; le monde est ce qui survit en s’échappant de ce face-à-face destructeur. Le vivant devient interstitiel et pluriel. C’est la leçon des nouvelles éco-anthropologies et de leurs zones d’indécision, entre culture et nature.

Nous ne pouvons plus nous contenter de cette vision simpliste qui oppose la « vraie » nature à un espace domestique sous contrôle…

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Le pouvoir des idées

Petite philosophie de la création sociale. Nous décrivons ici trois formes sociales de la puissance : statuts, fortunes et idées. Des outils pour créer du collectif et allumer le changement ?

Tout part du concept de puissance. Celle de Spinoza, qui n’a d’autre objet que de s’éprouver elle-même en actualisant l’être, en se signalant par une libération de joie (il faut imaginer la joie lente et placide des montagnes en formation !). Celle de Nietszche aussi, « volonté de puissance » ou « volonté de volonté » : la vie se poursuivant elle-même dans une danse créatrice, en perpétuel déséquilibre, inventant ses mouvements au rythme des facéties du destin.

Telles sont les images – philosophiques et existentielles – d’une puissance originaire, qui surgit dans l’innocence et se consume dans la jouissance, indifférente aux souffrances qu’elle ne pourra éviter d’infliger : à ce qui lui fait obstacle, comme à celles et ceux qui en font l’épreuve et chevauchent sa tempête.

En termes ontologiques, la puissance s’éprouve dans son actualisation, c’est-à-dire dans le passage à l’acte de l’être, déroulant derrière lui le cortège passé des possibles réalisés (la « réalité »). Autour de ces foyers d’émergence, on voit alors s’agiter les contours fragiles et mouvants des différentes formes de la vie : espèces, individus, sociétés. En termes théologiques, le monde est Création immanente. Spinoza encore : « Dieu, c’est-à-dire la nature ».

Pour être moins aride et métaphysique, rappelons simplement que « puissance » signifie « pouvoir être ». Ou : « être déjà » sans déjà « avoir été »…

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Convertir la dette en politiques écologiques : un rêve pour 2030 ?

La promesse sucrée de l’annulation des dettes provoque un malaise éthique et conduit à une impasse écologique. Toutefois, l’idée pourrait en inspirer une autre: et si les États remboursaient leurs dettes sous forme de mesures de transformation écologique? Naïf, sans doute. Mais pas illogique.

Ici et là, on entend que la dette n’est pas vraiment un problème. Il suffirait de l’annuler. Je laisse aux économistes les discussions techniques (en notant qu’ils ne semblent pas s’accorder entre eux), pour me centrer ici sur les aspects éthiques et éco-politiques du problème.

Tout d’abord, il y a un malaise éthique. Il me semble que si les dettes publiques pouvaient et devaient être annulées, il faudrait commencer par les pays du Sud. Ceux-ci sont en tout état de cause les plus fondés à revendiquer cette annulation, eux qui paient à l’infini une charge injuste et violente, née de la colonisation et de la prédation économique qui a prospéré sur le corps meurtri des terres et des peuples dominés…

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Recul de la protection du loup: notre incapacité à faire sa place au vivant

Le 3 décembre dernier, les loups ont perdu leur statut d’espèce strictement protégée en Europe. C’est le résultat de conflits réels et de craintes ressenties, au sein d’un monde de plus en plus anthropisé qui ne parvient plus à faire une place au vivant. Pourtant, l’histoire des loups et des humains cache bien des secrets et complicités derrière ces incompatibilités dramatisées.

(Article publié dans La Libre du 12 décembre 2024)

Ne soyons pas naïfs. Les loups posent de véritables défis. D’abord et avant tout à des secteurs déjà minorisés et précarisés : le petit élevage, peu industrialisé et économiquement fragile. Il ne s’agit donc pas simplement de hurler contre le déclassement du statut de protection du loup. Ce déclassement n’est pas seulement la « faute » de lobbies sans scrupules et de politiques sans courage. C’est une défaite générale de notre capacité à imaginer et organiser un monde dans lequel activités humaines et vie sauvage se croisent et se mêlent sans se détruire. C’est cette incapacité qu’il faut questionner.

Qui est un loup pour qui ?

Ironie de l’histoire, la triste sentence du philosophe Thomas Hobbes – L’homme est un loup pour l’homme – n’a jamais été d’une actualité aussi forte que dans cette société brutalement libérale et conflictuelle. Placée à la base de notre pensée politique moderne, cette maxime est pourtant profondément erronée, quand on la saisit dans le contexte plus général du lien qui nous unit aux autres espèces.

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Trois articles optimistes (ou qui tentent de l’être)

Ces trois articles ont été publiés dans les pages Débats de La Libre, entre mi-novembre et fin décembre. En espérant qu’ils préfigurent des pivotements positifs pour l’année qui vient.

Dans la catégorie COURT-LETTRAGE

Trump, premier président US d’un monde post-croissance ?

Et si la victoire de Trump annonçait un monde dans lequel on prend enfin au sérieux les limites planétaires ? C’est la question qu’on tente de décortiquer dans ce court article, publié le 15 novembre dans La Libre.

Extrait : « Ce dont manque le peuple, c’est moins d’éducation que d’imagination. »

Cop29 : changement d’ambiance sur la planète ?

Derrière un nouvel échec de la diplomatie climatique internationale, la COP 29 indique une reconfiguration du « mindset » planétaire. Il ne s’agit plus de « résoudre un problème », mais de partager les pertes exponentielles et des ressources réduites… Publié dans La Libre du 26 novembre 2024.

Extrait : « Désormais, l’argent a un prix. Et ce qui autrefois se résolvait par le pari religieux de la croissance tend à devenir conflictuel et transactionnel, ce qui révèle à nouveau une conscience confuse d’un horizon contraint… »

L’IA générative : l’antidote aux Fake News?L

La diffusion massive d’images générées par IA couronne-t-elle l’ère des « vérités alternatives » ? C’est le pari inverse qui est fait ici. Désormais, toutes les images seront par défaut équivoques. Et la vérité se cherchera par d’autres chemins, notamment le statut et la traçabilité des sources d’information. Un enjeu démocratique. Publication sur lalibre.be le 28 décembre 2024.

Extrait : « être capables d’instituer collectivement cette distinction entre les statuts de vérité des images et des discours, n’est-ce pas ce qu’on attend d’une société, et en particulier d’une société démocratique ? »

Bonne année !