Par son attention hétérodoxe aux petits objets vivants, la microbiologiste Lynn Margulis a littéralement pulvérisé le paysage sous contrôle de la biologie moderne. Retour sur une révolution scientifique, philosophique… et féministe.
Dans l’imaginaire scientifique moderne, le monde vivant est déterminé par les catégories du gène, de l’espèce et de l’individu. Ces catégories rassurent car elles correspondent à des perceptions macroscopiques : les gènes sont associés à des caractères (grand, yeux bleu, QI faible… vous l’avez ?), les espèces à des idéaux types (chien, cheval, mouche) et les individus à des identités incarnées (moi, le Christ, mon chien Lulu). Cet essentialisme « géniste », spéciste et individualiste perpétue des traditions philosophiques ancrées dans le platonisme et le christianisme. Il s’accorde avec notre besoin de fixité et de contrôle, en offrant une vision stable et « gouvernable » du réel. C’est le monde pratique et le monde de l’ingénieur.
Dans les années 1970, la microbiologiste Lynn Margulis a fait imploser ce monde d’objets observables et manipulables en avançant des hypothèses microbiologiques qui pour l’essentiel ont été confirmées depuis lors. Pour l’exprimer en termes simples et généralistes, ces hypothèses indiquent que tout ce que nous connaissons de grand et de complexe dans le monde vivant est le résultat d’associations symbiotiques entre de minuscules entités, principalement des bactéries ou « procaryotes » (c’est-à-dire des petites cellules sans noyaux). On mesure encore mal aujourd’hui l’ampleur de cette révolution et ses implications pour notre vision du monde et du vivant.
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