La nature-parmi-nous

Une réflexion sur les ressources écosophiques de la communication environnementale et la convocation d’une « pensée-nature » inspirée par Héraclite. L’enjeu : reconquérir la sensibilité comme commun, condition préalable et priorité véritable pour une communication de combat.

« Quand j’entends les écologistes décrire le monde, je comprends que personne n’ait envie de le sauver ». Cette phrase, citée de mémoire, a été prononcée par Bruno Latour. Derrière la boutade : une interpellation qui fait vaciller nos certitudes. Ce vacillement est le début de cette réflexion.

Le constat est connu : nous autres, environnementalistes, communiquons bien trop avec notre tête, et pas assez avec nos émotions. Nous parlons aux instruits et aux convaincus, mais nous passons à côté des autres, ceux qui « ne savent pas » ou « ne comprennent pas ». Ce constat, qu’il ne s’agit pas ici de contester, peut d’ailleurs s’appuyer sur les découvertes du cognitivisme linguistique. Résultat : nous nous parlons surtout à nous-mêmes. Nous communiquons entre nous.

C’est pourquoi il est urgent d’interroger les ressources, explicites ou implicites, que nous mobilisons pour penser notre communication. S’appuyer sur une psychologie scientifique ou une théorie neurologique des « biais cognitif » ne peut plus suffire. La raison en est simple : ce type d’approche ne fait que redoubler et renforcer le gouffre que nous devons combler. Entre nous et les autres. Entre ceux qui savent et ceux qui ignorent.

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Photo: Emergence hors cadre ©M_Collette sur Ilford Pan 400

Nouvelles figures du changement

L’expression « changement climatique » ne s’est pas imposée par hasard. Elle permet de prolonger et amplifier une confusion qui rapporte. Et d’occulter la véritable crise, celle de la biosphère et de ses interdépendances constitutives. Elle participe à l’instauration d’une nouvelle normalité : le changement comme condition fondamentale de l’existence et comme outil de domination.

Il suffit d’ajouter un signe d’équivalence entre les deux mots de l’expression « climate change » pour s’apercevoir que celle-ci ne fait qu’énoncer une évidence des plus triviales : le climat est une variation continue, régulière ou capricieuse, du contexte atmosphérique. Le mot « climat » lui-même provient du grec klino qui indique un virage, une courbe, ascendante ou descendante. Bref, le changement en acte. C’est la première chose à noter, et elle est importante : le climat est le changement, si bien que le « changement climatique » énonce une simple évidence admise implicitement par tous. Rien de nouveau sous le soleil (ou la pluie), donc.

Les conservateurs du Capital ont bien saisi le potentiel de cette érosion interne du concept de changement climatique, eux qui furent parmi les premiers à s’inquiéter de l’effet négatif d’un réchauffement de plus en plus visible sur l’économie américaine. En 2003, Frank Luntz, consultant en communication au service des Républicains, alors sous l’administration Bush, les convainquit d’adopter l’expression « climate change », plutôt que « global warning », qui avait cours à ce moment, car, expliquait-il, « « changement climatique » suggère un défi plus contrôlable et moins émotionnel ».

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