Argentine : la faillite des peuples dominateurs

Les récentes élections en Argentine éclairent dix ans de populisme dans le monde « blanc ». Après Trump et Bolsonaro, Milei offre un baroud d’honneur aux orphelins du colonialisme, de l’impérialisme et de la mondialisation asymétrique. La crise environnementale est un facteur décisif de l’humeur explosive des sociétés en déclin.

New words, ancient world. ©M_Collette. Analog photography on Fomapan 400.

L’Argentine, qui vient d’élire un trublion ultralibéral et néoconservateur, se considère comme « le pays blanc » d’Amérique du Sud. Et – inutile de le cacher – une partie de sa population en conçoit un sentiment de supériorité, voire une certaine arrogance. C’est ce que nous disent les spécialistes du pays, invités dans les émissions pour commenter le séisme électoral du 19 novembre dernier. C’est aussi le point de départ de la présente réflexion.

Le miroir brisé de la race

Ce miroir de blancheur m’a fait penser à un lien culturel profond et peu commenté entre les révoltes populistes qui, des Etats-Unis au Brésil, donnent la tonalité un peu carnavalesque au spectacle médusant du sabordage des démocraties représentatives occidentales. Il m’a aussi évoqué les travaux troublants de l’anthropologue James C. Scott qui, avec d’autres, a montré le visage ethno-colonial des États et des Empires qui ont façonné la trajectoire de la civilisation, dès son origine.

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Faire société avec le vivant ?

DE LA SUBJECTIVATION INDIVIDUALISTE MODERNE AU COSMOS PLURALISTE AMAZONIEN.

Photographie: There egos again (a society of selves) ©M_Collette – Ilford FP4+

Une brève histoire des modes de subjectivation individuels et la voie alternative du perspectivisme amérindien. D’après une lecture de Viveiros de Castro.

L’enjeu aujourd’hui, c’est de dépasser l’impasse de l’individualisme libéral pour refaire société, non de manière ethnocentrée et identitaire, ni même de manière strictement politique (la politique comme circonscrite à la polis, une cité humaine purifiée), mais en envisageant une socialité au-delà de l’humain. Une diplomatie « cosmique », pour reprendre un terme qu’affectionne l’auteur dont je vais maintenant parler. 

Comment naît un sujet ?

Les travaux d’Eduardo Viveiros de Castro sur le perspectivisme amazonien fournissent un excellent contrepoint à l’histoire de la subjectivité moderne occidentale. L’anthropologue y raconte comment l’intuition d’un perspectivisme amazonien lui a été inspirée, alors qu’il étudiait le cannibalisme tupinamba : « Cette idée m’est venue en écoutant les chants de guerre araweté, dans lesquels le guerrier (…) parle de soi-même du point de vue de l’ennemi mort ». Et encore : « À travers son ennemi, le meurtrier araweté se voit ou se pose comme ennemi (…). Il s’appréhende comme sujet à partir du moment où il se voit soi-même à travers le regard de sa victime ». Et précisément, c’est en mangeant le corps de son ennemi qu’il incorpore ce point de vue et conquiert – ex altero – sa propre subjectivité.

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