Le Jésuite, l’Indien et les Communs

Dans cet épisode : une rencontre imaginaire entre la série d’Arte « Le monde et sa propriété » et le film « The Mission », de Joffé. Les traits de Gaël Giraud et de Jeremy Irons se mêlent ici pour révéler les failles des idéaux légalistes occidentaux et mettre en perspective le destin tragique des peuples amazoniens. L’occasion d’interroger et mettre en perspective le concept de Commun.

Hommes et chien au parc. Photo : ©Martin_Collette

Dans le film The Mission (Roland Joffé, 1986), des missionnaires Jésuites s’enfoncent dans les hautes terres d’Amazonie pour y fonder des villages modèles évangélisés. L’action se déroule au XVIIIème siècle. Des Guaranis pacifiées et sédentarisés, christianisés par la musique, bâtissent des églises et chantent en chœur les louanges de Dieu, tout en continuant à vivre selon leurs coutumes, en symbiose étroite avec la forêt. Mais bientôt, en raison d’un transfert de souveraineté coloniale, les émissaires du roi et des entrepreneurs avides de richesse décident de reprendre le contrôle de la région, avec l’intention d’exploiter et réduire en esclavage la main-d’œuvre indigène. Pour sauver l’ordre des Jésuites et préserver l’alliance protectrice de l’Église avec l’État, les autorités religieuses imposent de démanteler les missions amazoniennes. Nos missionnaires, incarnés notamment par Jeremy Irons et Robert De Niro, font face à un douloureux dilemme : abandonner les Guaranis à leur sort ou mourir aux côtés des guerriers de la forêt.

Le souvenir du film, récemment revu, s’est imposé à mon esprit tandis que je regardais un épisode de la série « Le monde et sa propriété »[1], où des juristes et économistes s’expriment sur le concept de propriété, ses origines et ses implications. Parmi les thèmes abordés, il y a l’épineuse question des « communs ». Et au nombre des experts conviés à s’exprimer, se trouvait l’économiste Gaël Giraud, lui-même prêtre jésuite. Cette coïncidence minime a été comme le point focal d’une projection qui propulsa ce débat juridique et policé dans la jungle sud-américaine du dix-huitième siècle, les traits de Giraud se superposant à ceux de Jeremy Irons, déchiré entre sa quête d’un paradis terrestres et le réalisme sordide d’une Église à la remorque des États colonisateurs. Dans ce décor mouvementé où le droit se fait aussi touffu et obscur que la forêt la plus dense, j’eus la conviction que Giraud exprimait une position aussi ambigüe et illusoire que celle de ses aînés. Ce n’est pas là un motif de reproche, car c’est toute la thématique des communs qui se révèle imprégnée des paradoxes et difficultés d’un droit occidental voguant sur le cours tourmenté d’une histoire de spoliation et de domination, rendant utopique les efforts désespérés des belles âmes soucieuses d’ordonner le monde.

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